Depuis que l’épidémie du Covid-19 a fait son apparition il y a un peu plus d'un an, la vente des psychotropes, médicaments destinés à soigner ou à soulager les troubles psychiques, a connu une forte hausse. Mehdi El Berray, pharmacien à Tamaris, à la sortie de Casablanca, le confirme. "Nous avons noté une augmentation de 30% à 50% dans la vente des médicaments traitant la dépression et l’anxiété", explique-il après avoir consulté soigneusement ses chiffres.
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Cette tendance démontre clairement que le Covid19 a eu, et continue à avoir, des effets dévastateurs sur le moral et le mental des Marocains. Et ce n’est pas le professeur Hashem Thyal qui va contredire cet état de fait. "Nous commençons à voir de plus en plus de cas ou de malades mentaux qui considèrent que leur problème a débuté avec le Covid-19", déclare le psychiatre casablancais, fondateur de l’une des plus grandes cliniques spécialisées, dans la métropole.
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Il est donc certain que depuis le déclenchement de l’épidémie au Maroc en mars 2020 jusqu’à aujourd’hui les Marocains ont beaucoup souffert psychiquement. "Nous remarquons de plus en plus de consultations pour des troubles anxieux, des troubles dépressifs, des problèmes de psychose délirante autour du Covid-19", précise Hashem Thyal.
Explosion du nombre des "première fois"Passé la période de confinement stricte qui a eu lieu au Maroc entre mars et juin 2020, plusieurs Marocains se sont retrouvés dans l’obligation de sauter le pas et de frapper à la porte d’un psychiatre. Et pour nombre d'entre eux, pour la première fois dans leur vie. "Vous ne pouvez même pas imaginer le nombre de personnes qui m’ont personnellement révélé qu’ils viennent consulter pour la première fois et qu’ils n’avaient jamais mis les pieds chez un psychiatre", confie l’assistant d’un psychiatre réputé à Casablanca.
C’est dire jusqu’à quel point le Covid-19 a fait perdre aux Marocains leur équilibre psychique. Le changement des habitudes de vie, la distanciation sociale, ne pas voir sa famille, ses parents, l’isolement, la peur d’un lendemain incertain, le deuil, ne pas savoir quand l’épidémie et son "cauchemar" vont prendre fin... Autant de conséquences de cette pandémie qui agit sur le mental.
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Tout cela pèse lourd sur le moral. "Et c’est parti pour durer. On s’achemine vers quelque chose de plus en plus difficile. Tous les psychiatres du monde entier voient le nombre de personnes qui souffrent s’accroître", précise Hashem Thyal.
Le Covid-19 à l’origine d’une consultation sur deuxSi le ministère de la Santé n’a toujours pas réalisé d’étude détaillée et chiffrée sur l’impact de cette épidémie sur la santé mentale des Marocains, les professionnels tentent chacun à leur manière d’étayer ce qui semble désormais s'imposer comme une certitude. "Malgré le manque de statistiques précises, on peut évaluer le taux de consultations en rapport avec la pandémie d’environ 50%", écrivait Nadia Kadiri et Jamal Chiboub dans leur livre Des Peurs et des hommes sous l’influence du Covid-19, paru aux éditions Le Fennec, en juin 2020, tout pile à la sortie du confinement général. Onze mois plus tard, la psychiatre Nadia Kadiri fait toujours le même constat, cette fois-ci face caméra pour Le360. "Dans nos consultations, et que ce soit dans le public ou le privé, 5 personnes sur 10 qui viennent consulter le font pour un problème lié au Covid-19".
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Mais face à son psychiatre, de quoi se plaint le patient marocain dans ce contexte d’épidémie? "Souvent, les personnes qui viennent pour la première fois nous disent avoir du mal à s’endormi, vivre un niveau de stress jamais expérimenté auparavant, ne pas avoir d’appétit ou souffrir d’une boule aux entrailles", relate Nadia Kadiri tout en soulignant que ses confrères, professionnels de la santé mentale ont tous, sans exception, constaté une recrudescence clairement palpable de nouveaux cas de personnes aux symptômes d’anxiété et de dépression.
Tous ceux qui ont perdu leur équilibre psychique, ou homéostasie psychique, ont tout simplement été débordés, dépassés dans leur capacité à absorber leurs problèmes.
Les jeunes, principales victimesIls appartiennent à plusieurs catégories sociales et contrairement à ce que l’on pourrait croire, la dépression n’a pas épargné les jeunes. Les professionnels de santé l’ont bien constaté sur le terrain.
Certains cas sont même alarmants. Lors d’un webinaire en octobre 2020, Ghita Benjelloun, chef du service pédo-psychiatrique de l’hôpital Ibn Rochd de Casablanca, a livré des chiffres plus qu'inquiétants. "Trois fois plus de tentatives de suicide, sept hospitalisations en 20 jours, dont une patiente hospitalisée à deux reprises. (…) Nous avons hospitalisé durant le confinement deux fois plus d’enfants âgés de 6 à 12 ans ayant présenté des tentatives de suicide. Ce qui est quand même rare à cet âge-là. Au moment du déconfinement, il y a eu 7 fois plus d’hospitalisations pour tentative de suicide chez cette catégorie d’enfants", ajoute-t-elle.
La pédopsychiatre a expliqué qu’elle a été surprise de recevoir en consultation des enfants extrêmement anxieux, déprimés et suicidaires. "Il ont vécu le confinement avec décalage, comme quand on vit un stress post-traumatique".
Le suicide au bout du cheminLes jeunes âgés entre 15 et 18 ans ont particulièrement souffert de cette épidémie du Covid-19, du confinement et de ses effets sur leur quotidien, complètement chamboulé du jour au lendemain. Meriem Bahri en sait quelque chose. La directrice générale de l’association Sourire de Reda, dont la mission est de venir en aide aux jeunes en souffrance et de prévenir les suicides, affirme sans ambages que le centre d’écoute, StopSilence, accessible via une application sur internet a explosé tous les compteurs. "Durant la période allant de mars à juin 2020, nous avons noté une augmentation record du nombre d’appels que nous avons reçu au niveau de la helpline StopSilence. Il s’agit d’une augmentation de 92% par rapport à la même période de l’année 2019".
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Autre taux très évocateur: 65% des jeunes appelant la helpline avaient des idées suicidaires. "Le taux de jeunes appelants qui avaient commis une tentative de suicide pendant l’année ou qui pensaient commettre un suicide durant l’appel, avec intention de passer à l’acte, est resté inchangé. Il est toujours de 35%. Les 65% concernent les jeunes appelant qui ont des idées suicidaires, sans forcément intention de passer à l’acte, mais dont le nombre a été substantiellement plus important depuis l’éclatement de la pandémie", explique Meriem Bahri.
Le Covid-19 a donc clairement eu un impact très négatif sur le moral des jeunes. "Les jeunes se sont beaucoup plaints du manque de visibilité sur leur avenir. C’était une année particulièrement anxiogène car ils ne savaient pas comment allaient se passer les examens, si les examens allaient avoir lieu ou pas, s’ils allaient pouvoir terminer leurs études à l’étranger ou pas…", résume la directrice générale de Sourire de Réda.
Enfermement, écrans, cyber-harcèlement Enfermés chez eux avec impossibilité de sortir ou de rencontrer leurs pairs, les jeunes étaient surexposés aux écrans et à internet. "Nous avons constaté la recrudescence de situation de cyber harcèlement et de cyber intimidation", précise la directrice générale de Sourire de Reda.
Nadia Kadiri, fait également part de cette réalité. "Plusieurs adolescents ont plongé dans les réseaux sociaux et internet, avec des risques d’addiction assez caractéristiques", note-t-elle.
Les professionnels de santé craignent que les séquelles psychiques du Covid-19 durent dans le temps et exhortent à la prise en charge et au suivi des patients. Certains, comme c’est le cas de Imane Kendili, vont jusqu’à avouer que leurs connaissances en gestion de situations aussi inédites que les crises liées au Covid-19 sont dépassées et que de nombreux terrains de recherches, et donc de psychothérapie, restent encore à explorer.