L’uniforme scolaire divise. La décision du Lycée Anatole France de Casablanca en est la preuve. Imposé à la rentrée 2025, il a suscité des réactions vives parmi les parents et les élèves, révélant un conflit ancien: celui entre égalité et liberté individuelle.
L’histoire de l’uniforme est ancienne. Au 16ème siècle, en Angleterre, il visait à harmoniser les élèves dans les écoles caritatives. En France, Napoléon l’a introduit, début du 19ème siècle, dans les lycées, inspiré par la discipline militaire. Mais après 1968, la plupart des établissements publics français l’ont abandonné pour la liberté vestimentaire. Dans le monde anglophone, en revanche, l’uniforme est resté la norme dans de nombreux pays, un moyen d’assurer discipline et égalité sociale.
Au Maroc, l’habit était relativement homogène et codifié. Les hommes portaient la djellaba, dont la coupe et le décor variaient selon les régions et parfois les tribus. Les femmes, à force de patience, transformaient la laine des moutons en vêtements ou en djellabas. Elles portaient des voiles ou des draps traditionnels comme lizare, lhafe, lamlahfa, amelhaf ou alhayk.
Les élèves allaient à l’école avec leurs vêtements traditionnels qui furent remplacés par les tenues modernes, modestes.
Tablia ou lablousa, tablier, fait partie des traditions éducatives depuis des décennies. Contrairement à l’uniforme, qui reste marginal, il a toujours été largement adopté dans les écoles primaires et secondaires. Il n’y a pas de date officielle de son institution. Il s’est imposé progressivement, pas de façon stricte, variant selon les régions, les établissements.
Aujourd’hui, avec la consommation massive et le dictat de la mode, les vêtements se sont diversifiés, parfois ostentatoires, devenant un outil de distinction sociale.
Les réseaux sociaux accentuent ce phénomène, entrainant une exagération du culte du corps: l’image devient un critère central pour juger de la valeur d’une personne, et la mode s’impose comme un moyen de s’affirmer, au détriment de l’inclusion et de l’égalité. Dans un établissement scolaire, cette mise en avant de la richesse ou du style crée des tensions et des injustices entre élèves.
L’uniforme permet une homogénéité complète. Le tablier cache les différences vestimentaires, en laissant chaque élève porter ses propres vêtements. Le tablier est une solution intermédiaire: pratique, économique et équitable, il favorise l’inclusion sans imposer une tenue coûteuse.
«L’uniforme ou le tablier peut être bénéfique s’il est introduit avec réflexion et concertation»
— Soumaya Naâmane Guessous
Le coût de l’uniforme reste un facteur important: l’élève a besoin de plusieurs uniformes, pour pouvoir les laver. Les enfants grandissent vite, ce qui oblige les familles à acheter de nouveaux uniformes chaque année. Cette dépense répétée peut peser lourdement, surtout pour les familles modestes, et accentuer le débat sur l’équité.
Uniforme et tablier limitent les différences sociales visibles et les distinctions basées sur les marques qui sont des raisons de moqueries dont sont victimes certains élèves. Ils incitent les élèves à se concentrer sur leurs études plutôt que sur leur apparence. L’école redevient ainsi un lieu où l’égalité et les valeurs priment sur l’exposition de la fortune familiale.
Pour les parents, cela facilite la vie en évitant les casse-têtes quotidiens de «qu’est-ce que je vais porter aujourd’hui?»
Cependant, uniforme et tablier peuvent être perçus comme une contrainte et une atteinte à la liberté individuelle. Ils représentent un coût supplémentaire pour certaines familles.
Le lycée Anatole France a imposé un seul fournisseur qui propose deux packs: 1490 DH et 2589 DH. J’ai parcouru le «pack global», à 2589 DH: un pantalon, un pull en laine, un jogging, un sweat, un pantalon, une doudoune, 3 teeshirts, 3 polos… Les parents sont obligés d’acheter le pack 1 ou le 2 en entier, avant de pouvoir acheter des pièces à l’unité. Le prix parait élevé, puisque ce pack ne suffit pas à l’élève pour toute l’année scolaire. Il faut en prévoir au moins 3, en plus des chaussures, baskets, veste, habits d’intérieur…
Les avis des parents sont partagés: «Avec l’uniforme, nous ferons des économies sur la garde-robe de nos enfants». D’autres pensent le contraire «Nos enfants auront besoin de 3 packs par année scolaire. En plus des chaussures et des tenues à porter hors du lycée. Nous avons déjà du mal à payer les frais de scolarité».
L’imposition de l’uniforme a été interprétée par de nombreux parents comme un choix arbitraire, pris sans consultation, sans prise en compte de la diversité des réalités économiques.
L’uniforme ou le tablier peut être bénéfique s’il est introduit avec réflexion et concertation. Une approche flexible permet de bénéficier des avantages de l’homogénéité et de l’inclusion tout en respectant les contraintes économiques des familles.
Cependant, avouons que même avec l’uniforme et le tablier, les différences restent visibles à travers d’autres signes: téléphones portables, montres, sacs, baskets... Ces objets demeurent des marqueurs sociaux difficiles à effacer. L’uniforme peut harmoniser l’apparence, mais il ne saurait, à lui seul, supprimer les inégalités.
C’est pourquoi l’accent doit être mis davantage sur les valeurs partagées, l’authenticité, la simplicité, le respect d’autrui, la solidarité, et l’éducation à la citoyenneté, tout en mettant en garde les jeunes contre la tentation de trop sublimer leur image sous l’influence des réseaux sociaux.






