Docteur en sociologie de l’Université de Toulouse, Mehdi Alioua est le doyen de l’Institut d’études politiques (Sciences Po Rabat), où il enseigne la sociologie générale ainsi que ses propres spécialités: sociologie urbaine, sociologie des migrations internationales et sociologie de la globalisation. Il est également directeur de la chaire «Migrations, mobilités, cosmopolitisme» et rédacteur en chef de la revue Afrique(s) en mouvement. Ses recherches portent de manière générale sur le cosmopolitisme, les transformations urbaines, la citoyenneté, les mouvements sociaux, la globalisation et les différents régimes de mobilités qui la produisent ou qui en sont les produits. Une grande partie de ses écrits analyse les transformations sociopolitiques qu’induit la migration en Afrique méditerranéenne.
Le360: pouvez-vous nous parler brièvement de l’Institut d’études politiques -Sciences Po Rabat?
Mehdi Alioua: Sciences Po Rabat a été créé il y a 13 ans au sein de l’Université internationale de Rabat sur le modèle des IEP français, c’est-à-dire non pas une filière de science politique, mais un système «Grande École» en sciences humaines et sociales où on enseigne différentes disciplines des SHS (et même le droit et l’économie) pour former des cadres supérieurs et dirigeants du public ou du privé.
Cela a été possible grâce à notre partenaire historique, Sciences Po Grenoble, qui nous a permis rapidement d’atteindre le niveau escompté et qui nous a toujours fait confiance, car les étudiantes et étudiants qui entrent en première année chez nous sont aussi inscrits à Grenoble et reçoivent leur certificat de scolarité. Mais je dois préciser que c’est la fameuse méthode «Sciences Po» que nous avons importée et adaptée au Maroc. Cependant, le contenu des cours est lié aux réalités marocaines et celles de notre région.
Quels sont les principaux domaines de spécialité de l’IEP Sciences Po Rabat ?
En plus d’avoir un corps d’enseignants-chercheurs internationaux en sciences sociales et politiques de haut niveau, il suffit d’une rapide recherche sur leurs profils sur le net pour se rendre compte que nos domaines de spécialités se concentrent sur les réalités marocaines et celles de notre région qui se composent de la Méditerranée, des mondes africains, des mondes arabes et des dynamiques atlantiques. Gouvernance africaine, gouvernance climatique, dynamiques religieuses et culturelles, l’Islam contemporain, les migrations internationales, les questions diasporiques, l’agriculture, les politiques économiques appliquées, les questions de développement, l’écologie, la santé, les politiques publiques dans les pays du Sud Global, les questions de sécurité, la résolution des conflits…sont parmi les domaines de prédilection des membres de Sciences Po Rabat que l’on retrouve dans des cours spécialisés dès la licence, dans certains de nos masters thématiques, dans nos recherches scientifiques et même dans nos Exécutif Masters.
Quels sont les défis auxquels sont confrontés les étudiants en sciences politiques aujourd’hui?
Le principal défi pour notre pays et notre jeunesse à ce niveau-là est que les sciences sociales en général et la science politique en particulier, tout comme la sociologie, avaient été abandonnées durant plusieurs décennies. Elles renaissent progressivement de leurs cendres depuis le début des années 2000 mais, malheureusement, dans les programmes scolaires marocains du primaire et du secondaire il n’y a aucune trace de science politique digne de ce nom, contrairement aux programmes internationaux. Ce qui fait qu’il y a tout un apprentissage nécessaire à mettre en place dès les premières semaines de la licence et tout au long du premier cycle afin de remettre à niveau nos jeunes talents.
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Heureusement qu’ils ont bien d’autres compétences déjà acquises, ce qui nous permet d’avoir des profils qui n’ont rien à envier aux grandes institutions internationales. Pour preuve, beaucoup rejoignent des masters prestigieux, en Angleterre, comme la London School of Economics, aux USA, au Canada, en Allemagne et, bien sûr, en France. Nous avons aussi un défi en master car il n’y a pas suffisamment de licence de science politique dans les universités de notre pays, ce qui laisse un grand vide et limite l’émulation et la stimulation intellectuelle nécessaires au monde universitaire, puis au monde de l’emploi. Finalement, nous nous comparons principalement aux sciences politiques au niveau international et très peu au niveau national. Cela favorise d’autant plus la fuite des cerveaux, mais c’est un autre débat.
Comment l’Institut d’études politiques -Sciences Po Rabat prépare-t-il ses étudiants à une carrière dans le domaine politique ou dans d’autres domaines connexes?
Nous ne préparons pas vraiment nos étudiantes et nos étudiants aux carrières politiques. Je sais que dans notre pays c’est très contre-intuitif, mais à Sciences Po Rabat nous les formons aux métiers où il est nécessaire d’allier réflexions, recherches d’informations et actions. Nous les formons à tous les métiers de l’aide à la prise de décision car dans un monde incertain on ne peut pas prendre des décisions dans une entreprise, dans une ONG, dans la diplomatie, dans une collectivité territoriale ou au niveau de l’État et du gouvernement sur un coup de tête.
Il faut non seulement avoir les bonnes informations pour prendre les bonnes décisions mais il faut également savoir traiter ces informations, savoir analyser et avoir un bon esprit de synthèse pour l’expliquer aux autres, les convaincre… Parfois même, il est plus compliqué de convaincre que de trouver la bonne solution! Nous entraînons donc nos étudiantes et étudiants en leur faisant faire des recherches en tout genre, en les faisant lire énormément et en leur donnant des grilles de lecture et des clés d’analyse. Puis nous leur demandons de produire des livrables sous différentes formes: des plaidoyers, des lectures, des conférences, des dossiers, des notes de synthèse, des dissertations, des mémoires, des schémas, etc.
Quels sont les débouchés professionnels les plus courants pour les diplômés en sciences politiques de votre institut?
Nos lauréates et lauréats travaillent dans des domaines tellement variés qu’il serait difficile de les énumérer ! Certains sont dans le domaine médical, bien sûr pas comme médecins mais comme conseillers ou consultants, d’autres dans la diplomatie et les relations internationales, d’autres dans des ONG, d’autres dans des agences de l’ONU, à la Banque mondiale, ou encore journalistes, évaluateurs, auditeurs, chercheurs, enseignants, managers, coachs, etc. Certains sont même dans le commerce international. Bref, il n’y a pas de métiers types. Ah oui, j’oubliais, il y en a tout de même quelques-uns qui sont à l’Union africaine ou au Parlement marocain ou bien dans des gouvernements, comme M. Mossa Ag Attaher précédemment ministre de la Jeunesse, des sports chargé de l’instruction civique du Mali, qui occupe désormais le ministère des Maliens établis à l’extérieur et de l’intégration africaine. Peut-être que demain, nous aurons aussi des ministres marocains. Pour l’instant, nos lauréats sont moins intéressés par une carrière purement politique et gouvernementale. Mais, nous avons actuellement quelques jeunes étudiants de licence qui espèrent s’y destiner…l’avenir nous le dira.
Pouvez-vous nous parler des partenariats et des collaborations que l’Institut a établis avec d’autres institutions nationales ou internationales?
Notre partenaire académique historique avec lequel nous collaborons depuis le début et avec lequel nous avons un double parcours et un double diplôme est Sciences Po Grenoble -UGA. Mais nous avons également des partenariats avec la très prestigieuse école militaire française de Saint-Cyr, avec l’Arizona State University à Phoenix, l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Sorbonne Université, etc. Il ne s’agit là que de quelques noms d’institutions avec lesquelles nous avons des collaborations fortes au niveau de la recherche, des cotutelles de thèses, de cours communs, etc. Mais nous avons plus d’une soixantaine de partenariats, d’autres en Inde, en Corée du Sud, en Italie, en Espagne, au Canada, au Mexique, en Irlande…pour des échanges d’étudiants.
Nous privilégions également l’ancrage local et sommes inscrits dans la région RSK avec les universités Mohammed V et Ibn Tofeil dans de nombreux programmes. Au niveau des institutions non étatiques, nous avons aussi des collaborations fortes et des conventions de stage avec pratiquement tous nos ministères mais aussi les institutions et agences nationales, le CNDH, le CCME, le CESE, etc. et bien sûr de nombreuses entreprises et ONG sans parler des agences onusiennes installées au Maroc comme UNHCR, ONU-Femmes, PNUD, etc.
Quels sont les projets de l’Institut d’études politiques de l’UIR? Y a-t-il des plans pour élargir les programmes ou pour renforcer certains domaines de recherche spécifiques?
Oui, en effet, nous sommes en constante évolution et même si nous avons ouvert cet Institut d’études politiques qu’en 2011, nous sommes très ambitieux à l’image de notre université, l’UIR, d’autant plus qu’il faut des réponses urgentes aux nombreux défis que traverse notre pays, qu’ils soient de nature politique ou bien de nature économique et sociale, ou géopolitique, ou encore au niveau des ressources humaines et de la formation, sans oublier l’importance de la recherche scientifique.
Pour cela, nous réorganisons notre licence et nos masters et nous multiplions nos partenaires académiques internationaux. Notre licence de sciences politiques se décline en trois parcours: relations internationales, politiques publiques et économiques, cultures et sociétés des mondes arabes et africains.
Nous augmentons également les cours dispensés en langue anglaise en plus des cours de langues obligatoires comme ceux de l’anglais et de l’espagnol. Nous venons de créer des écoles de masters afin de regrouper nos masters spécialisés dans des thématiques bien identifiées: école des affaires internationales, école des politiques publiques et économiques, école des études sociales avec des masters innovants au Maroc comme celui sur les humanités environnementales ou bien celui sur les dynamiques atlantiques ou encore celui sur les résolutions de conflits.