Rien ne va plus à l’AMDH: 17 dirigeants dénoncent les pratiques illégales de l’association dans une lettre explosive

Aziz Ghali, le président de l'AMDH. . DR

Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il y a de l’eau dans le gaz au sein du Comité administratif de l’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH). Un vaste appel au boycott a été lancé le 9 octobre par 17 de ses membres qui dénoncent des pratiques interlopes.

Le 10/10/2020 à 15h19

Les tensions étaient palpables depuis plusieurs mois au sein de l’Association marocaine des droits de l’Homme, (AMDH), mais on était loin de pressentir une imminente implosion. Aujourd’hui, la messe est dite.

Dans un courrier daté du 9 octobre 2020, 17 signataires, membres du Comité administratif de l’AMDH et affiliés au Parti de l'avant-garde démocratique et socialiste, le PADS, font part aux membres du Bureau central et du Comité administratif de leur décision de boycotter les travaux prévus ce 10 octobre à l’occasion de la septième session dudit comité.

Les signataires déplorent en préambule le fait de ne pas avoir été entendus jusqu’à présent, rappelant que leurs protestations exposées lors de précédentes réunions sont restées lettre morte. C’est donc en réaction au silence du Comité administratif de l’AMDH que ces membres dissidents ont décidé de monter au créneau.

Dans ce courrier, les dix-sept membres expliquent ainsi qu’ils entendent «protester contre les pratiques illicites qui se sont répétées jusqu’à ce que la situation devienne intenable». Ces pratiques illicites et jusqu’à présent passées sous silence par le Comité administratif de l’association sont listées en neuf points et non des moindres.

Une gestion opaque Les membres signataires dénoncent en premier lieu le non-respect de la décision de l'association de ne pas participer aux activités organisées par certains groupes religieux. Une première accusation qui n’est pas sans rappeler l’implication en 2018 de l’AMDH, mais aussi celle du parti de la voie démocratique «Annahj» –qui domine ladite association– aux côtés d’Al Adl Wal Ihssane dans les tensions à Jerrada. Une responsabilité partagée, dénoncée par Abdelaouafi Laftit, ministre de l'Intérieur, qui voyait dans cette incitation constante de la population à protester, «une vaine tentative de faire chanter l'Etat».

Par ailleurs, les membres signataires dénoncent aussi la non-mise à jour de la liste des affectations au sein de l’association, permettant ainsi de conserver certains anciens membres, chose pourtant interdite.

Enfin, il est également reproché au comité administratif en place «le caractère sélectif et le deux poids, deux mesures dans l'invitation des militants aux rendez-vous internationaux», et encore plus grave, l’ambiguïté dans la gestion des finances de l’association ainsi que «la confusion qui a entaché les rapports financiers lors des sessions du comité administratif».

Au service d’agendas occultes, mais aux dépens des droits humainsEt d’accuser le comité administratif de l’AMDH d’appliquer une «gestion anti démocratique des questions litigieuses et le recours à la politique du fait accompli». A ce stade, l’ombre de l’affaire Omar Radi pèse lourdement sur la fronde au sein de l’AMDH. En effet, l’AMDH a toujours soutenu le présumé violeur de Hafsa Boutahar contre vents et marées, et réclamait le 10 août dernier par la voix d’un communiqué de presse de son bureau central sa libération immédiate, tout en critiquant le caractère jugé arbitraire de son arrestation et taxant de représailles les poursuites judiciaires dont il fait l’objet.

Alors que l’AMDH semblait faire bloc dans cette affaire, les signataires de cette lettre reprochent au comité administratif d’«entraîner l'association dans des labyrinthes, des dossiers qui n'ont rien à voir avec les droits humains, et ce pour servir des agendas occultes». Et si le nom de Omar Radi n’est pas cité, les griefs retenus contre ce comité ne laissent pas de doute quant à la nature de l’affaire. En effet, les signataires accusent tout bonnement le comité de «diffamation de nombreux plaignants et plaignantes», chose «qui porte atteinte à la crédibilité de l’association».

Une longue série d’injustices au nom de la justiceCe point en particulier fait référence en filigrane à une longue liste de plaignants auxquels l’AMDH a décidé de tourner le dos, faisant fi des droits humains au profit d’une fâcheuse tendance à vouloir mener tambour battant une politique d’opposition systématique au régime.

Portant l’étendard de la liberté de la presse, l’AMDH a ainsi pris parti de manière inconditionnelle pour Touafik Bouachrine, en allant jusqu’à refuser d’auditionner ses présumées victimes de viol et d’abus sexuels.

Même topo dans l’affaire Souleïmane Raissouni, accusé de viol par le dénommé Adam Muhammad, qui a d’ailleurs occasionné une profonde scission au sein de l’AMDH.

En effet, cette divergence de points de vue entre les membres a atteint son point culminant lors de l’élaboration et de la publication le 27 mai dernier d’un communiqué de l’AMDH sur l’affaire Raissouni. Le vice-président de l’association, Brahim Missour, qui fait d’ailleurs partie des signataires de cet appel au boycott, considérait ce communiqué «non équitable», en raison de l’absence «du droit présumé à réparation de la victime». Il accusait également ce texte, par ailleurs défendu bec et ongles par Aziz Ghali, le président de l’AMDH, «d’avoir formé une position biaisée et non neutre en faveur d’une partie contre une autre» et d’être «contraire aux principes et fondements d’un procès équitable».

Mais dans le traitement de ce dossier, l’AMDH a fait bien pire, en refusant de recevoir la présumée victime et en allant jusqu’à rendre publique sa véritable identité. Un geste en violation flagrante avec la loi sur la protection des données personnelles, qui est pourtant un droit que garantit la Constitution à la présumée victime.

Enfin, épilogue dans cette sinistre série de faits allant à l’encontre du droit des victimes, l’affaire qui oppose Omar Radi à Hafsa Boutahar qui l’accuse de viol. Lorsque celle-ci a fait part à l’AMDH de sa plainte, contre toute attente, l’association s’est empressée de prévenir Omar Radi en l’informant du contenu de ladite plainte. Pire encore, la présumée victime n’a bénéficié d’aucun soutien. «J’ai été reçue par le président, qui m’a écoutée et puis l’avocat de l’association m’a reçue à son tour et m’a demandé de quelle couleur était la culotte que Omar Radi portait ce jour-là», se souvenait-elle dans un précédent entretien avec Le360. Un comble pour une association supposée être dévouée à la défense des droits de l’Homme.

Les signataires de l’appel au boycottWafaa Badri, Naima Elalami, Asmae Elfakir, Halima Karkoubi, Nezha Elazouzi, Halima Marsouli, Farouk Elmehdaoui, Abelaziz Belhassan, Said Benhmani, Brahim Missour, Omar Elouafi, Naji Elkamari, Brahim Hachane, Hassan Elharchi, Houssaine Elhadoudi, Rachid Rakmi, Zakaria Moulay Omar.

Par Zineb Ibnouzahir
Le 10/10/2020 à 15h19