La semaine prochaine, lundi 12 juin, beaucoup d’entre nous seront vissés devant leur poste de télévision pour regarder le match amical Maroc - Cap-Vert. Ce sera l’occasion de revoir certains de ces joueurs qui nous ont fait rêver pendant la dernière Coupe du monde.
J’ai lu quelque part que la valeureuse équipe des îles du Cap-Vert a adopté comme nom collectif «Os Tubarões Azuis», qui signifie en portugais «les requins bleus». Voilà qui m’a fait dresser l’oreille.
En effet, ça m’a rappelé une question que je pose souvent à mes étudiants: qui est le plus fort, le lion ou le requin?
Après quelques secondes de flottement, les réponses fusent: m’sieur, m’sieur, le requin, il a une mâchoire très puissante; m’sieur, m’sieur, le lion, c’est le roi des animaux; m’sieur, m’sieur, les mâchoires du squale sont garnies de plusieurs centaines de dents sur plusieurs rangées; m’sieur, m’sieur, les fauves sont très souples; m’sieur, m’sieur…
Impassible, je secoue la tête. Il continuent:
- M’sieur, le lion, c’est un signe astrologique alors qu’il n’y a pas de requin dans le zodiaque.
- C’est un argument, ça?
- M’sieur…
Finalement, un(e) étudiant(e) trouve la bonne réponse.
- M’sieur, votre question n’a aucun sens.
- Bravo. C’est exactement ça. Toute question n’a pas forcément un sens. Celle-ci n’en a aucun puisque ces deux animaux-là ne se rencontrent jamais. L’un vit à l’air libre, l’autre dans les eaux profondes. Aucun rapport.
Un étudiant astucieux tente une manœuvre:
- Mais si on jette un lion dans l’eau?
- Ce ne serait plus un lion puisque par définition, ce dernier respire pour être ce qu’il est. De même, un requin jeté dans la savane devant une meute de lion n’est plus, techniquement, un requin. Le raisonnement est un peu subtil mais réfléchissez-y, vous verrez qu’il se tient.
Comme mes étudiants sont intelligents, ils finissent par saisir le raisonnement. C’est à partir de cette discussion que j’introduis une séparation entre «physique, naturel» et «métaphysique». Toute question qui mélange les deux n’a aucun sens et ne mérite aucun débat ni ne nécessite aucune réponse. Dès qu’on les mélange, l’un des termes -sinon les deux- ne désigne plus rien.
Un jour, deux étudiants continuèrent quand même la discussion, à ma grande consternation.
Abdelmoula:
- M’sieur, selon la tradition, le lion fut le premier à pénétrer dans l’Arche de Noé, mais il n’y a nulle part de référence à des poissons frétillants et sautant à bord. Élu par Noé, le roi des animaux est donc plus fort que le requin.
Bahija:
- N’importe quoi. Les poissons n’ont rien à craindre d’un déluge -l’eau, c’est leur milieu naturel- c’est pour ça qu’ils n’étaient pas dans l’Arche.
Amusant ou désespérant? On dirait que nous n’arrivons pas à mettre dans une case la nature et la science et dans une autre, distincte, la métaphysique et les croyances -sans rejeter ni les unes ni les autres.
Tant pis. Reste le match. On verra bien qui vaincra, des Lions ou des Requins.
On reprendra notre discussion épistémologique après…