La cherté de la vie s’impose malgré les efforts de l’Etat pour stabiliser les prix des produits alimentaires.
Ce ramadan, c’est la panique dans les ménages: les hommes s’inquiètent pour les budgets qui explosent. Les femmes angoissent pour les budgets, les préparatifs et la corvée dans la cuisine pour satisfaire les envies de chacun.
Toutes les conversations tournent autour des régimes alimentaires, des préférences, des conseils…
Les femmes échangent des astuces, des recettes faciles-pas-chères, des adresses des meilleures pâtisseries avect le meilleur rapport qualité-prix et les nombreux liens de sites qui livrent toutes sortes d’aliments, y compris ce succulent potage, lahrira, inséparable de ramedane.
Il n’y a pas longtemps, tout se faisait à domicile. Les ménagères nanties faisaient appel à des cuisinières. Il était honteux qu’une femme fasse manger à sa famille des produits du marché. Elle devait prouver qu’elle est une hadga (capable) pour ne pas être méprisée.
Aujourd’hui, la tâche des ménagères s’est allégée. Elles peuvent tout acheter selon leurs budgets.
La charge reste plus lourde pour les rurales, mais pas autant que pour leurs aînées.
Quelques exemples des préparatifs d’hier:
Les femmes n’achetaient pas la farine. A l’aube, elles lavaient et égouttaient les céréales, les séchaient au soleil. Ensuite, tnaquya (tri) avec tbaq (plat en osier) et ghorbal (tamis), appelé boussayare, pour ôter les mauvaises graines.
Les riches envoyaient les sacs à la minoterie. Les pauvres utilisaient rha (meule). Pendant des jours, les femmes tournaient le manche pour broyer les grains.
La farine passait par différents tamis: tahbate sépare la farine du son, bouchtatou filtre la farine blanche. Elquaâd extrait smida, la semoule. Il reste al-hamra qui sert au pain.
Mina, 86 ans: «Le mari qui achetait le pain était la risée. Les boulangeries étaient pour les Français qui nous colonisaient.»
«Pas de levure en vente. On faisait le levain: si tu as un bon cœur, ton levain monte bien.»
Tous les jours, à genoux, la femme se penchait sur l’qasrya (gas’â, cuvette en bois ou terre cuite) pour pétrir une montagne de pâte.
«La pâte doit être bien pétrie. Elle doit claquer comme du chewing-gum.» Le pain était cuit sur un feu de bois dont la fumée épaisse assèche les mains et les visages.
Aujourd’hui, sellou (sfoufe) est vendu en pâtisserie (mélange de farine, amande, grains de sésame, anis...). «Les maris adoraient sellou. C’est aphrodisiaque. Nos hommes étaient actifs lors des veillées de ramadan!» Les femmes émondaient les amandes, les épluchaient, les faisaient frire. Elles grillaient la farine, les graines de sésame et d’anis… et passaient le tout au mahraze (mortier).»
La veille de ramadan, les maisons raisonnaient d’une symphonie de coups de mortier en cuivre. Les femmes improvisaient une mélodie, synchronisant les coups, poussant des youyous et chantant.
Pendant des jours, elles roulaient les boules de couscous à partir de différents types de farine: fines pour seffa, moyennes pour le couscous, grosses pour barkoukche… Les boules passaient à la vapeur avant le séchage au soleil.
Il fallait moudre les grains de café au mahraze avec cannelle, macis, muscade, orge et pois chiche.
Sans frigidaire ni congélateur, il fallait conserver la viande. En été, un veau est sacrifié à la maison. Les hommes l’égorgent et le découpent. Les femmes coupent el gueddide (lamelles de viande) qui est salé et séché sur des cordes, au soleil, pendant des jours.
Une partie d’el gueddide est gardée pour agrémenter les féculents, le couscous… Le reste sert au khli’. «On hache à la main la graisse animale pour la cuisson d’el gueddide. Pas de mixeur.» Le jour de la cuisson, les marmites en cuivre dégagent des odeurs qui aiguisent l’appétit. Le khli’ est conservé dans des jarres.
Les femmes préparaient smen (beurre rance, cuit avec sel et thym) pour relever le goût des mets. Conservé pendant de années, il devenait smen el hayle, remède contre rhumatisme, stérilité, fractures, douleurs musculaires.
Les olives noires étaient lavées, salées, mises dans des paniers en roseau et alourdies de pierres pour perdre l’eau. Lavées, elles séchaient au soleil. Dans chaque olive rouge, les femmes faisaient 4 entailles au couteau. Les vertes sont cassées, une à une, avec une pierre. Rouges et vertes sont conservées dans l’eau salée.
Zhar, eau de fleur d’oranger, est distillé à domicile. Les pétales viennent de Marrakech, Fès et Meknès. Les draps, étalés à l’ombre, sont recouverts de pétales dégageant une odeur envoûtante. Vient la distillation dans les alambics. L’émanation du zhar embaume la cité.
«Toi tu achètes tes vermicelles!» Wili! Bien sûr que je les achète. Incapable d’être assise, des journées, à rouler des morceaux de pâtes pour faire douida!
Ramadan est le mois de chebbakya (gâteau au miel). «On la faisait à domicile. On pressait le miel à la main. Pour les briouates aux amendes, on faisait les feuilles de briques une à une.»
Msamen, baghrir, harcha sont aujourd’hui achetés. Le laitage était préparé à la maison avec du lait de vache frais: rayb (lait cru caillé) et jben (lait cuit, caillé avec les fibres du cœur d’artichaut sauvage, parfumé à l’eau de fleurs d’oranger).
Et rezzat el qadi! Des heures à former de longs fils à partir d’une pâte, à les rouler autour du poignet, les cuire au beurre. Les hommes se vantaient de la rezza de leurs épouses, capable d’être enfilée dans une aiguille! C’étaient de grosses aiguilles, au trou large. Ce qui n’enlève rien au mérite de ces femmes.
Oui, Dieu merci, la vie est plus simple pour nous! Puisse ce mois sacré vous combler de bonne santé, de sérénité et de mets succulents, mais avec modération !