Vous les aurez sûrement croisés à la porte d’une école, au détour d’une ruelle, ou au beau milieu d’un souk en train de se lacérer un bras, une jambe, ou fondre sur un passant qui par malheur s’est trouvé sur leur chemin. Le mal qu’ils se font ou font aux autres -parents, voisins, ou simples piétons- est tel qu’il est devenu un spectacle incroyablement ordinaire. Il ne se passe presque pas un jour sans que l’un d’entre eux fasse "hurler" les Unes de journaux, à travers un parricide, un matricide, un fratricide, un sororicide... "Eux", c’est qui ? Difficile de sérier les épithètes dont Monsieur-et-Madame-tout-le-monde veulent les affubler tellement elles sont nombreuses. A Salé, qui dispute la vedette à Casablanca et Fès sur le podium de la criminalité, on les appelle, à tort ou à raison "Al Khotout Al Jaouia", en allusion aux "lignes" -marquées à la pointe de lames bien acérées sur leurs bras- du transporteur aérien national. Ils sont simplement un symbole emblématique de cette "Génération perdue", désignée par le citoyen lambda "Génération karkoubi". Voilà, le mot est lâché. Un mot qui porte son lot de victimes tragiques de cette maudite pilule de la mort qui a ruiné des foyers, brisé des vies et risque d’hypothéquer l’avenir d’une génération. A entendre ce mot, on a vite envie de crier : mais qui est à l’origine de ce désastre? Un ennemi tout indiqué est pointé d’un doigt accusateur : les psychotropes algériens. "J’ai commencé à consommer cette drogue dure qui nous arrive d’Algérie à l’âge de 18 ans", raconte Ahmed, 24 ans, une larme dans la voix. Le corps chétif -une silhouette à peine reconnaissable-, le regard perdu, le geste improbable, ce jeune habitant de Témara, ferronnier de son état, a l’impression d’avoir raté sa vie. "Orphelin, chassé par ma famille et sans diplôme, je n’ai pas trouvé d’autre refuge en dehors de cette drogue hallucinante", a-t-il confié à Le360, en se répandant en imprécations contre ces trafiquants de stupéfiants qui veulent faire commerce avec le malheur d’autrui, reprenant à son compte cette expression cynique mais ô combien significative : "Le malheur des uns fait le bonheur des autres". "Les comprimés psychotropes en provenance d’Algérie sont devenus un filon juteux pour ces marchands de la mort", relève-t-il, en allusion à ces trafiquants de la pilule mortifère qui profitant de la porosité de la frontière orientale avec un pays dont le régime est ouvertement hostile, en l’occurrence l’Algérie, ne se font aucun scrupule à épargner la jeunesse marocaine. Un constat amer, autant que cette sinistre pilule, dont "on veut délibérément inonder notre cher pays".
Autre victime, même son de cloche. Rachid Rougui, vendeur de figues de barbarie, affirme ne pas avoir été surpris par les révélations faites, mercredi 13 août, à Rabat, par le ministre de l'Intérieur, Mohamed Hassad, au sujet des drogues dures algériennes saisies au Maroc, encore que les chiffres dévoilés soient hallucinants. "L’année 2013 a été marquée par la saisie de plus de 450.000 comprimés", avait dévoilé le ministre marocain, lors d’un point de presse, tenu, mardi, conjointement avec le ministre délégué auprès du ministre de l’Intérieur, Charki Draïss, et le ministre de la Communication, porte-parole du gouvernement, Mustapha El Khalfi. "Il n’est pas surprenant de dire que le triple de cette saisie est mis par l’Algérie sur le marché marocain", estime Rachid, le regard obscur. "C’est un poison qui fait des ravages au sein de notre jeunesse. Personnellement, ma vie est menacée. Je ne sais vraiment pas comment m’en sortir", se plaint-il, yeux et bras levés vers le ciel.
Aux frontières de la honte
D’où provient exactement cette pilule du Mal ? Quels circuits emprunte-t-elle avant de débarquer chez des jeunes souvent en panne de repères ? A qui incombe réellement la responsabilité ? Ce trafic aurait-il pu prospérer s’il n’y avait pas ce silence coupable, voire cette complicité algérienne dans l’intention (pitoyable) de déstabiliser un pays dont le "délit", semble-t-il, est d’avoir fait le choix civilisé de l’effort et du progrès ? Un véritable "festival" de questions, auxquelles "en attendant d’y voir plus clair- il n’y a que des bribes de réponses. Contacté par Le360, le président de l’Institut marocain des relations internationales (IMRI), Jawad Kerdoudi, précise que "c’est à partir de la frontière algérienne, non pas d’Oujda, que les trafiquants exportent leur marchandise prohibée". "C’est de là que partent les livraisons vers les autres villes marocaines par le biais de filières de contrebande, voire de mafias bien organisées téléguidées par des Algériens", pointe cet expert en questions géopolitiques. Une thèse que confirment les témoignages recueillis par Le360 auprès de riverains de la frontière orientale du royaume. Au Souk El Fellah d’Oujda, Haddou Raguabi, vendeur de produits de contrebande en provenance d’Algérie, a certifié que le flanc algérien de la localité de Béni Drar était devenu "le repaire des réseaux mafieux algériens qui réussissent à traverser la frontière dont ils connaissent les coins et recoins". "Certaines drogues sont fabriquées en Algérie, du côté de Maghnia, mais d’autres sont contrefaites et viennent de la région sahélo-saharienne via l’Algérie", explique Hadou Raguibi, regrettant que "le Maroc soit submergé par toutes sortes de psychotropes à la porté du premier consommateur et surtout des petites bourses". Un drame qui, au-delà des consommateurs, ou leurs proches parents, concerne toute la société. Sociologues, pharmaciens, médecins et politiques mettent en garde contre la prolifération de ce poison. "Que de drames sociaux et de ravages ont été commis sous l’emprise de ces substances hallucinantes (…). Il n’y a qu’à consulter les statistiques des services de police et des associations de lutte contre la drogue ou de visiter les prisons pour mineurs pour se rendre compte de l’ampleur du gâchis", s’indigne ce médecin R'bati, le ton amer. "Il y a vraiment de quoi l’être", rouspète cet acteur associatif, qui déverse sa colère sur cette "malédiction géographique"…