Samedi dernier, il ne s’est rien passé. C’était pourtant un jour spécial, non?
Autrefois, c’était une tradition. Chaque 1er avril, les journaux télévisés, dans plusieurs pays d’Europe, glissaient parmi les informations un « poisson d’avril », un scoop qui n’en était pas un: c’était une blague des journalistes. Dans le bulletin du lendemain, on ne manquait pas de rectifier, le sourire en coin, au cas où quelques naïfs n’auraient pas compris.
Si je me souviens bien, le service français de la RTM se livra également au même exercice pendant quelques années, avant qu’un mauvais coucheur ne s’en formalisât au nom de ces fameuses « valeurs » que tout le monde est censé respecter –sauf celui qui les promeut avec le plus de vigueur. Il paraît qu’il ne faut jamais mentir même si c’est « pour rire ». Eh bien, soit, marinons dans la morosité et la mauvaise humeur.
Dommage. Je me rappelle le sourire d’un présentateur –Ali Hassan?– annonçant, à la fin du journal, que l’info selon laquelle il y aurait désormais, à titre expérimental, des t’bouridas sur ânes dans les moussems était un canular…
Parmi mes poissons d’avril favoris, il y eut celui selon lequel les éoliennes ralentissaient la rotation de la Terre -la Nasa venait de le démontrer. Un faux savant à barbichette et lorgnon, juché sur un tabouret haut, affirmait que, selon ses calculs, la Terre cesserait de tourner « entre 2070 et 2073″. On avait le temps de s’y préparer.
Le 1er avril 2010, plusieurs radios allemandes annoncèrent que le ministre des Postes et des Télécommunications allait introduire un timbre payant pour les messages électroniques. Le tarif? Un centime par mail. L’argent comblerait le trou financier résultant de la baisse du courrier postal; de plus, cette mesure de bon sens réduirait fortement le flux de spams qui, reconnaissons-le, irrite tout le monde. Tout cela semblait tellement logique que beaucoup de gens tombèrent dans le panneau. Des politiciens et des fournisseurs de services internet allemands réagirent, qui ravis, qui pas. Les stations radiophoniques furent submergées d’appels. Il y avait pourtant un indice qui aurait dû mettre la puce à l’oreille des auditeurs: le ministère fédéral des Postes et des Télécommunications n’existait plus depuis 1998…
Le 1er avril 2013, France 3 annonça que le gouvernement allait lâcher des pandas géants dans les Pyrénées. L’information était crédible puisqu’il y avait effectivement un programme de réintroduction des ours dans la région. Pourquoi des pandas? Parce qu’ils n’attaquent ni les hommes ni les animaux de ferme: ils se nourrissent uniquement de bambou. Le journaliste, sérieux comme un pape, conclut en soulignant que la fourrure à deux tons des pandas présentait des avantages évidents: la partie noire est facile à repérer dans la neige et la blanche reflète la lumière des phares des voitures.
Même la très sérieuse BBC jouait le jeu. Un 1er avril, son magazine d’actualités «Panorama» annonça qu’en raison d’un hiver particulièrement doux, les fermiers suisses avaient obtenu une récolte exceptionnelle… de spaghettis. On vit à l’écran une famille du Tessin procédant à la récolte annuelle: des femmes cueillaient délicatement les fines pâtes d’un arbre à spaghettis et les étendaient au soleil pour les faire sécher. Le présentateur de la BBC précisa que la longueur égale des pâtes était due au labeur de générations de cultivateurs helvètes…
Pourquoi cette tradition amusante et inoffensive se perd-elle? Pour cette triste raison: il y a aujourd’hui tellement de fake news sur les réseaux sociaux et sur les chaînes de télévision partisanes du genre Fox News qu’un vrai poisson d’avril passerait totalement inaperçu. Allez parler de pandas ou de spaghettis à des gens qui sont persuadés que les vaccins servent à insérer dans leur corps les puces électroniques de Bill Gates ou que le monde est dirigé par des lézards géants ayant pris une forme humaine.
D’autre part, avec l’irruption dans nos vies d’une nouvelle forme d’intelligence artificielle, celle qui crée de l’information -qu’on pense à ChatGPT-, nous serons progressivement envahis par des «nouvelles» qui n’en sont pas. Le philosophe Gaspard Koenig a posé à ChatGPT la question suivante: «Qui est Gaspard Koenig?», et l’algorithme a répondu: «Un philosophe libéral et un entrepreneur». Notre ami n’est évidemment pas un businessman, mais ChatGPT ayant repéré la fréquente concomitance, dans l’archive mondiale, des adjectifs «libéralisme» et «entreprise» lui a créé une nouvelle identité… Gageons que le fisc s’intéressera désormais de près à la déclaration de revenus de l’intellectuel capitaine d’industrie.
Autrement dit, nous allons vivre dans un perpétuel 1er avril, avec des canulars pas marrants du tout et qui vont croître et prospérer sans jamais être démentis le lendemain. C’est inquiétant. C’est même effrayant.