La montagne tremble et l’onde de choc nous parvient à des centaines de kilomètres à la ronde.
Regards hagards dans la nuit et fuite affolée vers la rue, devenue subitement plus sûre qu’un lit douillet.
-Zelzal !!!!
Le mot à lui seul jette l’effroi.
Les premières sources d’informations sont les réseaux sociaux: séisme ressenti dans plusieurs régions. 6,8 sur l’échelle de Richter. Epicentre dans les montagnes du Haut-Atlas.
Peur panique d’une réplique.
La télévision danse encore insouciamment. Les téléphones s’affolent.
Aussi ahurissant que cela paraisse, à part ceux qui l’ont vécu sur place et à part sans doute leurs proches, peu de personnes ont mesuré, jusque-là, l’ampleur de la tragédie.
Le lever du jour apporte les nouvelles qui prennent progressivement un air d’apocalypse. On compte avec consternation nos morts et nos blessés. Des familles entières décimées. Des villages, à peine la veille grouillant de vie, ensevelis désormais, en partie ou en totalité, sous des amas de décombres. Combien de survivants sont encore bloqués sous les débris?
A terre, toutes sortes de constructions dont des monuments historiques d’une valeur inestimable, telle la mosquée de Tinmel datant du XIIe siècle, joyau de l’architecture des Almohades dont ces montagnes sont le berceau…
Aussitôt, dans le deuil et le fracas des ruines, on serre tous les rangs. C’est le temps du recueillement mais aussi de l’action.
Les messages de compassion, les gestes de fraternité, les propositions d’aide émanant des quatre coins de la planète, l’extraordinaire élan de solidarité, à l’intérieur et à l’extérieur du pays, mettent du baume dans nos cœurs meurtris.
L’esprit obnubilé par la catastrophe naturelle, par les pertes humaines et par les lots de drames qui les accompagnent, nous restons connectés à toutes les sources d’information: télévision qui s’est bien rattrapée depuis, sites d’information en continu et incontournables réseaux sociaux…
Le meilleur de la nature humaine se révèle!
Entre autres illustrations: ces touristes et ces religieuses de différentes nationalités, se pressant aux premières heures auprès des Marocains pour donner leur sang.
Cette dame âgée, résidant à Talmoudaat, localité nichée à 1.000 mètres d’altitude qui a perdu ses proches dans le séisme, une partie de sa maison, craint l’effondrement de l’autre et demande tout d’un coup à son interlocuteur, les yeux embués de larmes et la voix chevrotante, au milieu de la visite des lieux marqués de fissures et de crevasses, où elle pouvait lui envoyer un peu de safran.
Tel autre cas relayé par une ONG, disant textuellement en accompagnant le tweet d’une vidéo d’un tajine concocté en plein air et d’un verre de thé fumant:
-«En deuil et au cœur de la tragédie, leur première préoccupation a été de s’assurer que nous n’éprouvions ni soif ni faim après notre longue et éprouvante route jusqu’à leur village. Cette inversion rapide des rôles nous a profondément touchés».
Rien de bien étonnant pour qui connaît l’hospitalité de ce pays, qui n’a rien d’un slogan pour guide touristique à deux sous.
Des leçons de générosité, de résilience. Et de dignité.
Ce qui n’est pas donné à tout le monde, visiblement.
Dans le désordre: influenceurs et toutes formes d’opportunistes en mal de notoriété, tenant d’une main un biscuit, de l’autre leur smartphone; apôtres de la thèse du «châtiment divin» là où les vrais croyants atteints dans leur chair remercient Dieu dans les joies et dans les peines et ouvrent leurs écoles coraniques dès le lendemain; ceux qui découvrent subitement que le Maroc est un pays montagneux avec ses pistes sinueuses ondulant les pentes, ses hameaux excentrés, ses maisons traditionnelles en pisé accrochées aux flancs des coteaux, ses ânes et ses mulets comme autres moyens de locomotion…
Nous n’avons jamais eu honte de notre pays avec sa diversité et ses paradoxes, ni caché les manquements et les inégalités, tout en les dénonçant autant que faire se peut.
Si la pauvreté est un fait, dans les campagnes comme dans les villes, elle ne se définit en aucun cas par le mode de vie et ne saurait être instrumentalisée, en ce moment précis, sans verser dans l’ignominie.
Ce sont par ailleurs ces montagnes qui ont vu surgir un empire, bâti une brillante civilisation régnant sur les deux rives de la Méditerranée et unifiant le Maghreb depuis l’Atlantique à Tripoli.
Il sera dit qu’en plus de la douleur des pertes, nous avons dû faire face aux vautours aux aguets, aux indécentes politisations et nauséabondes tentatives de récupération.
De la part de ceux-là même qui mettent en scène une grotesque opération d’envoi d’aides, alors qu’il y a trois semaines, au nord du pays, ils tiraient dans le dos de vacanciers en jet ski, gardent encore la dépouille de l’un et maintiennent le troisième prisonnier; pendant que, en plein séisme, leurs journaux et la milice séparatiste hébergée et armée par leurs soins annonçaient de supposées attaques contre des positions marocaines dans le Sud, depuis Tindouf, en Algérie.
Tels autres, privés de leur show de sauveurs après le spectacle planétaire des huées, dépités de ne pas être sollicités parmi plus de soixante Etats -malgré l’argument objectif, d’ordre logistique, consistant à éviter une cacophonie d’aides mal coordonnées- s’avilissent, en concert, dans les caricatures fielleuses, les dénigrements des efforts, la condescendance d’un autre temps... Et ce narcissisme déroutant!
Pendant ce temps-là, nous demeurons, aujourd’hui plus que jamais, d’une cohésion inébranlable autour de notre patrie et de notre roi, mus collectivement par une nouvelle énergie dont l’objectif est de panser nos traumatismes et nos plaies. Puis, de tout reconstruire.
En 1755, après le terrible tremblement de terre de Lisbonne, le marquis de Plombal aurait exprimé ainsi les priorités: «Enterrar os mortos, cuidar dos vivos e fechar os portos». Enterrer les morts, s’occuper des vivants et fermer les ports.