En déambulant dans les couloirs de cet édifice qui date de 1922, un sentiment d’oppression vous envahit mais il s’évapore instantanément devant le sourire accueillant de la représentante du ministère public près du tribunal civil de première instance de Casablanca.
Mme la procureure du roi près du tribunal civil de Casablanca a des raisons d'être de bonne humeur puisqu'elle vient d’être consacrée par une instance internationale. Le 27 janvier dernier, la Ligue universelle du bien public lui a remis la médaille d’argent avec palme et couronne.
«A cette occasion, le président de la Ligue a fait un geste tout particulier. Il a fait installer dans la salle de cérémonie, une selle traditionnelle marocaine offerte à l’institution par le roi Mohammed VI», raconte-t-elle très émue.
Au delà de la symbolique du geste, notre magistrate y voit «une reconnaissance internationale des avancées du Maroc sur le plan des droits humains, de la part d’un État ancestralement connu pour sa promotion des droits humains».
La magistrate-militanteAïcha Naciri souligne par ailleurs que «ce prix représente une valeur particulière, puisque dans le monde arabe, le corps des magistrats incarne surtout le caractère répressif du système judiciaire. Alors qu’elle a été choisie pour son travail de militante en faveur de la protection des droits et des libertés».
Il est vrai que dans nos contrées, un magistrat du ministère public est interpellé couramment par le commun des citoyens comme «al raarak», celui qui enfonce le clou.
Mais, Aïcha Naciri a réussi à transcender les idées reçues et allier une carrière de militante à celle de juge. Quelle est sa recette?
«C’est d’abord une conviction, une culture», lance-t-elle. Puis elle plonge dans ses souvenirs: «Étudiante, j’étais très attachée aux droits de l’Homme à tel point que je voulais suivre des cours de philosophie. Mais pour des raisons familiales (mes parents refusaient que je m’installe à Rabat), j’ai entrepris des études de droit».
Prise d’engouement pour cette discipline, elle adopte sa propre maxime: «Le droit est la philosophie de la réalité».
La double casquette de militante et de magistrate était difficile à porter, puisqu’à cette époque les juges n’avaient ni le droit de s’exprimer ni celui de créer des associations.
«Quand Omar Azziman est devenu ministre de la Justice et a commencé à travailler sur la réforme de la justice, j’ai eu le sentiment que son département poussait à ce que les juges s’ouvrent sur la société, de manière à ce qu'ils ressentent mieux les problèmes des citoyens», confie-t-elle.
La lutte contre violence à l’égard des femmes
Magistrate en poste au tribunal de première instance de Ben M’sik sidi Othmane, à Casablanca, elle envoie un courrier à Omar Azziman. Elle lui demande l’autorisation de faire une immersion au sein du Centre d’écoute des femmes battues de l’Hermitage à Casablanca. Une requête que le ministre accepte.
Elle préside alors des tribunaux symboliques. Rappelez-vous, c’était en 1998, avant que la Moudouwana ne soit adoptée.
Une justice symbolique était rendue: des condamnations prononcées dans des affaires de violence à l’égard des femmes, de divorce, de garde des enfants…
De la théorie à la pratique
Devenue présidente d’une chambre au tribunal civil, elle prend des décisions allant à l’encontre de la jurisprudence établie par la Cour de cassation, notamment en matière de la «hadina», ou encore de divorce pour sévices subis.
«J'étais convaincue de la justesse de ma cause et mes décisions étaient largement motivées, tout en sachant que la Cour d’appel les casserait», indique-t-elle.
De cette situation, elle tire des enseignements: «J’ai compris que le blocage venait des mentalités, il fallait avoir le courage pour faire sauter les verrous».
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«D’ailleurs, en 2002, la cour de Cassation a fini par adopter certaines de mes décisions», précise-t-elle fièrement.
Après avoir exercé longtemps dans le civil, puis au tribunal de commerce et enfin comme présidente d’une chambre à la Cour d’appel de commerce, en 2011, elle passe du côté de la magistrature debout.
Elle est promue procureure du roi auprès du tribunal civil de première instance de Casablanca. Il faut souligner que peu de femmes accèdent à ces postes de décision, alors qu’au Maroc, la première femme juge avait été nommée en 1961.
A titre d’exemple, jusqu’à présent, elles ne sont que 4 ou 5 à occuper les fonctions de juges d’instruction.
D’où émane cette discrimination? «On ne propose pas de femmes dans des postes au pénal. Sans pour autant en accuser les membres du Conseil supérieur de la magistrature, cette situation est inhérente à une culture protectrice à l'égard des femmes», explique-t-elle.
Trois femmes siègent au CSPJ
Changer les mentalités. Le chantier de la réforme de la justice a permis aux femmes magistrates de s’exprimer. Elles ont arraché une victoire, celle d’institutionnaliser la parité dans la loi organisant le CSPJ (Conseil supérieur du pouvoir judiciaire) en adoption de l’article 19 de la Constitution de 2011.
D’ailleurs, Aïcha Naciri est l’une des trois femmes magistrates qui siègent au CSPJ depuis juillet dernier.
Avec sa contribution à l’amélioration du rapport de la justice avec le justiciable et son expérience sur le terrain, Aïcha Naciri a tous les atouts pour faire valoir ses idées dans l’Hémicycle, alors une carrière politique est-elle envisageable? «Au regard du champ politique actuel, je préfère le militantisme au sein de la société civile, contribuer de manière bénévole. Et puis là, je vais siéger au CSPJ, ça sera une belle expérience»!