Historien, militant des droits de l’Homme, universitaire, entrepreneur, voire journaliste… Maâti Monjib peut dégainer la carte visite de son choix, personne ne lui reprochera une usurpation d’identité. Mais son statut, quel qu’il soit, ne peut l’exempter de poursuites judiciaires pour un crime de droit commun, celui de blanchiment de capitaux, qui lui a valu une inculpation, en état d’arrestation.
Le Procureur du Roi près le tribunal de première instance de Rabat avait expliqué, le 7 octobre dernier, le processus judiciaire qui a conduit à l’ouverture d’une «enquête préliminaire» menée sur Monjib et des membres de sa famille. Cette enquête fait «suite à une saisine reçue par le parquet général de la part de l’Unité de traitement du renseignement financier (UTRF)». Cette unité en charge de la lutte contre les crimes de blanchiment d'argent (un domaine dans lequel le Royaume a ratifié des traités internationaux) a agi conformément à l’article 18 de la loi 43-05 relative au blanchiment de capitaux.
A l’examen des informations transmises par l’UTRF, le Parquet peut charger la Brigade nationale de Police judiciaire (BNPJ) de mener des investigations «sur la source et la nature des transactions et des transferts financiers effectués par les personnes concernées, d'identifier la source des biens immobiliers, objet de déclarations de soupçon, et de déterminer ses liens avec d'autres actes criminels, considérés comme des infractions principales aux fins de blanchiment d'argent», expliquait à cet égard le communiqué du Procureur du Roi. Ce magistrat est d’ailleurs revenu à la charge, pas plus tard que le 31 décembre dernier, pour rappeler ce processus et réfuter les allégations de supporters de Monjib, qui prétendent qu’il a fait objet d’une «arrestation abusive».
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Le mandat de dépôt ordonné à l’encontre de Maâti Monjib fait suite à une enquête préliminaire qui aura duré plusieurs semaines. Convoqué à plusieurs reprises par les enquêteurs de la BNPJ, le prévenu a usé à chaque fois de son droit de garder le silence. Maâti Monjib n’a jamais voulu fournir d’explication sur les transferts mirobolants qu’il recevait de l’étranger. Et encore moins sur l’origine des fonds qui lui ont permis d’acquérir trois appartements et plusieurs biens fonciers.
Pourtant, les preuves à charge contre lui sont accablantes. Cet universitaire, dont le salaire mensuel ne dépasse pas les 20.000 dirhams, jongle avec pas moins de huit comptes bancaires. Deux d’entre eux sont au nom d’une société qu’il a créée, «Ibn Rochd des études et de la communication», et ont connu des transferts douteux qui ont alarmé les agents de l’UTRF: près de 5 millions de dirhams ont ainsi été reçus à partir des Etats-Unis, ou des Pays-Bas, au profit de cette entreprise créée par Maâti Monjib, et qui s’apparente à une société-écran exclusivement destinée à recevoir des fonds à partir de l’étranger, à des fins indéterminées. Son fonctionnement et sa comptabilité n’ont en effet rien d’une entreprise ordinaire.
«Monjib n’a jamais fourni la moindre facture ou autre pièce justificative expliquant l’origine de ces transferts», confie un proche de la fiduciaire qui se chargeait de la comptabilité de cette entreprise. Et d’ajouter: «il avait recours à des pratiques frauduleuses pour dissimuler des données susceptibles de dévoiler la réelle activité de sa société. Il ne présentait que les factures de ses dépenses personnelles pour [des frais de] restauration ou [de] voyages».
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Maâti Monjib se gardait également bien de justifier comptablement les nombreux retraits ou transferts qu’il a effectués, que ce soit par chèques ou par carte bancaire. Des opérations qui ont sans doute servi à alimenter un de ses compte personnels où de nombreux transferts d’argent sont enregistrés entre début 2009 et fin 2017: une trentaine de dépôts en espèce, totalisant près de 1,7 million de dirhams, une centaine de virements pour une somme globale de près de 1,9 million de dirhams, en plus d’une cinquantaine de chèques encaissés, pour près de 500.000 dirhams. Monjib a également procédé à 16 reprises à la souscription à des dépôts à terme, entre fin mai 2009 et octobre 2015. Des opérations lui ont permis de dégager des produits d’intérêts assez conséquents.
Dans sa machine de blanchiment d’argent, Maâti Monjib a également impliqué son épouse, française, à travers ses deux comptes bancaires, mais surtout instrumentalisé sa sœur, Fatema. Devant les enquêteurs, cette dernière s’est présentée comme étant une simple employée dans l’enseignement privé, alors qu’elle est, en fait, aussi la gérante statutaire de la société Centre Ibn Rochd. La sœur de Monjib a, elle aussi, fait valoir son droit de garder le silence quand elle a été confrontée aux mouvements douteux sur ses trois comptes bancaires, ou quand elle a été questionnée à propos de ses biens immobiliers, très disproportionnés par rapport à son statut social.
Entre 2011 et 2020, d’importants dépôts de fonds ont effectivement été effectués sur les comptes de Fatema Monjib, totalisant la somme de 3 millions de dirhams. Les enquêteurs ont pu retracer une bonne partie de cet argent qui aurait servi à l’acquisition de cinq biens fonciers, dont trois appartements achetés pour 550.000 dirhams, pour certains d’entre eux. Même la troisième sœur de la fratrie Monjib a exprimé sa stupéfaction face à ces sommes exorbitantes, car elle s’est déclarée convaincue que «Fatema vit une situation précaire et qu’elle n’a aucune source de revenu, à part son travail en tant qu’éducatrice dans une crèche et des cours d’analphabétisme qu’elle prodigue épisodiquement dans les mosquées», comme nous l’explique un proche de la famille Monjib.
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Il apparaît donc clairement que Maâti Monjib instrumentalisait sa sœur, en tant que prête-nom, pour blanchir des fonds qu’il transférait soit directement du compte de sa société, soit après des placements effectués sur son compte personnel. Les preuves rassemblées par l’UTRF et la BNPJ ont largement justifié la convocation de cet universitaire en col blanc devant le Parquet général de Rabat.
Il y était attendu le 29 décembre, à partir de 9 heures, mais il a choisi de ne pas répondre à cette convocation, préférant aller déjeuner avec des amis. Le Procureur du Roi a ainsi donné des instructions pour son interpellation avant d’ordonner sa mise sous mandat de dépôt. A la maison d’arrêt d’El Arjate, à Salé, où il a été transféré, Maâti Monjib a sollicité d’être placé en cellule individuelle en attendant sa prochaine audience. Il a amplement le temps de méditer et de tenter de trouver une parade auprès de ses soutiens, devant ces charges accablantes, liées à des détournements et à des blanchiments de fonds provenant de l’étranger.