L’infidélité et l’effet papillon

Zineb Ibnouzahir.

ChroniqueCe genre de cas de figure peut ainsi arriver à n’importe lequel d’entre nous. Faut-il s’enquérir de la santé des couples qui nous entourent avant de se risquer à lancer une invitation à dîner? Faut-il enquêter sur les gens avec lesquels on s’attable pour être surs qu’ils sont bien célibataires?

Le 31/08/2025 à 12h54

Cette semaine, une sordide affaire qui relève de la sphère privée, et qui de fait n’aurait jamais dû être médiatisée, a fait la Une des réseaux sociaux et d’une certaine presse amatrice de sensationnalisme. Cette affaire, celle de G. A., témoigne à elle seule de nombreux maux dont souffre notre société: le non-respect de la vie privée, la non-considération des libertés individuelles, le non-respect de la déontologie et de l’éthique par une certaine presse et enfin les failles d’un code pénal qui doit urgemment être dépoussiéré.

Il aura suffi d’une soirée pour que la vie de plusieurs personnes bascule littéralement. Deux femmes, un homme, un dîner dans un appartement… de quoi mettre en alerte une épouse qui soupçonne les infidélités de son mari, dépose une plainte pour adultère et enclenche une intervention policière sur les lieux.

Cette affaire renvoie à un scandale du même genre, datant de 2019, lorsqu’une célèbre actrice et un producteur ont été surpris alors qu’ils se trouvaient dans un appartement par une intervention des services de police, dépêchés sur place suite à une plainte du mari de l’actrice résidant à l’étranger et soupçonnant un adultère.

Au Maroc, l’adultère ou tout du moins les soupçons d’adultère font de très nombreuses victimes chaque année. Derrière les barreaux croupissent ainsi des hommes ou des femmes, accusés par leur moitié d’avoir été infidèles. Pas besoin d’être une célébrité pour avoir droit à ce traitement de faveur. Et pour prouver une infidélité, il suffit de peu de choses: une personne mariée en compagnie d’une personne de l’autre sexe (voire même plusieurs), ensemble dans un même endroit. Et si d’aventure la soirée est arrosée d’alcool, la messe est dite.

«Le cas de G. A. nous rappelle les graves torts et préjudices causés par cet article de loi et de l’urgence qu’il y a à le bannir du code pénal une bonne fois pour toutes»

—  Zineb Ibnouzahir

De quoi j’me mêle? C’est la question qui nous brûle les lèvres. Ces gens-là peuvent bien faire ce qu’ils veulent tant qu’ils sont dans un endroit privé, ne troublent pas l’ordre public, ne font de tort à personne et sont tous consentants à être là où ils se trouvent. À priori oui, à moins qu’un conjoint soupçonneux ne dépose une plainte, laquelle déclenche systématiquement une enquête et une arrestation. Le meilleur est à venir, si la plainte est retirée, le conjoint infidèle voit les poursuites à son encontre abandonnées. Ce ne sera pourtant pas le cas de l’autre, la maîtresse ou l’amant présumé qui devra endosser seul(e) cette «faute» devant la justice.

Ce qui fait basculer ce type d’histoire dans le sordide, c’est la manière dont le délit doit être prouvé, notamment lorsqu’il fait l’objet d’un procès-verbal de constat de flagrant délit dressé par un officier de la police judiciaire. Faut-il surprendre le couple en pleins ébats? Pas forcément. La collecte de preuves sur place témoignant d’un rapport sexuel et les possibles aveux judiciaires des «coupables» serviront au juge pour prendre sa décision. Et si d’aventure les accusés parviennent à échapper au délit d’adultère, ils pourront tomber sous le coup d’autres chefs d’accusation, comme l’atteinte à la pudeur, sanctionnée de deux ans de prison par l’article 483 ou encore pour débauche et risquer un an de prison selon l’article 502.

Ce genre de cas de figure peut ainsi arriver à n’importe lequel d’entre nous. Faut-il s’enquérir de la santé des couples qui nous entourent avant de se risquer à lancer une invitation à dîner? Faut-il enquêter sur les gens avec lesquels on s’attable pour être surs qu’ils sont bien célibataires?

Une infidélité au sein d’un couple peut ainsi déclencher un véritable effet papillon et ruiner plusieurs vies. Est-ce là le rôle de la justice? Si le cas de G. A. nous rappelle les graves torts et préjudices causés par cet article de loi et de l’urgence qu’il y a à le bannir du code pénal une bonne fois pour toutes, il nous rappelle aussi aux graves dérives d’une certaine presse. Jusqu’où est-on prêt à aller dans la quête du clic, du buzz et du sensationnalisme?

Aujourd’hui, une ligne rouge a été franchie. Cette jeune femme a littéralement été livrée en pâture à l’opinion publique. En raison de sa célébrité, son nom a été cité d’emblée et c’est d’ailleurs le seul à avoir été divulgué. Elle est ainsi devenue bien malgré elle la principale protagoniste d’une histoire qui ne lui appartient pas en endossant le rôle de la maîtresse qu’on a voulu lui imputer. La présomption d’innocence? On s’en fout littéralement. L’atteinte à sa vie privée? Pareil. Le préjudice causé? Rien à cirer.

Qu’une certaine presse se permette ce genre d’écarts innommables et inacceptables, s’inscrivant dans la même violence qui sévit sur les réseaux sociaux, ne peut rester impuni. Il est nécessaire, pour le bien de tous, que cette entorse à l’éthique et à la déontologie soit sanctionnée, sans quoi, le message envoyé à l’opinion publique est des plus terrifiants: il est possible de détruire la réputation d’une personne en toute impunité et sans être inquiété.

Bien que G. A. ait été «blanchie» par la justice et que l’épouse ait retiré sa plainte, le mal est fait. Reste à espérer que cette sordide affaire mette en lumière des dérives qui ne doivent plus se reproduire et qu’elle nous interpelle sur notre façon d’être et de penser. Peut-on s’élever en s’inscrivant dans la délation? Peut-on grandir en tant qu’adulte et citoyen responsable sans la reconnaissance de nos libertés individuelles? Peut-on vivre sereinement au sein d’une société où la sphère privée ne bénéficie pas d’un minimum de protection?

Par Zineb Ibnouzahir
Le 31/08/2025 à 12h54