L’importance d’une visite

Tahar Ben Jelloun.

Tahar Ben Jelloun.. Le360

ChroniqueDéjeuner au Chellah, face au Bouregreg et aux cigognes qui assistent de loin à la fête. Emmanuel Macron me fait signe pour le rejoindre à l’autre côté de la table. Il me dit: «Je suis très touché d’être dans ce pays magnifique. Merci, merci de ce que tu as fait.»

Le 04/11/2024 à 10h58

Il est arrivé. Il a été royalement accueilli. Il a vu. Il a compris. Il a comparé puis il est reparti, le cœur serré, car la France n’est plus tendre avec lui. Emmanuel Macron est au fond quelqu’un qui n’a pas perdu de vue son enfance. La visite dans notre pays lui a fait du bien, lui a ouvert les yeux et lui a fait comprendre des choses qu’il ne voyait pas avant.

Je raconte mon voyage:

Un gros avion de l’armée de l’air. Un Airbus 330. Immense. De nombreux invités du Président Macron. Moi, invité de Sa Majesté, j’ai dû, pour des raisons d’agenda, prendre l’avion de la délégation française. À côté de moi, le photographe milliardaire François-Marie Banier. Il a fait fortune en étant l’ami proche de Liliane Bettencourt. Un procès lui fut intenté par sa fille, mais il a pu garder le milliard d’euros que lui avait accordé la dame séduite par lui. Il possède, entre autres, une maison à Marrakech. Je ne sais pas pourquoi il fait partie du voyage.

Devant moi, le cinéaste Éric Toledano, marocain et français. Ses parents meknassis parlent entre eux en arabe. Avec son ami Olivier Nakache, il a signé quelques oeuvres de cinéma et de télévision à grand succès («Intouchables» et ses 20 millions d’entrées, «Le sens de la fête», l’adaptation française de la série «En thérapie»…).

Un peu plus loin dans l’avion, Gérard Darmon, Marocain né à Paris, mais de parents tétouanais, «Rifis» comme il dit. La nationalité marocaine lui a été accordée par Sa Majesté.

Il y avait aussi des hommes d’affaires, des amoureux du Maroc, des personnalités de tous bords. Parmi eux, l’écrivain français d’origine égyptienne Gilbert Sinoué, auteur de livres de qualité sur l’histoire du Maroc. L’écrivaine d’origine marocaine Abigaïl Assor, autrice du roman «Aussi riche que le roi» (éd. Gallimard), était également invitée.

Nous sommes arrivés avant le Président. Son avion, avec d’autres invités, a atterri deux heures plus tard.

Nous sommes invités au Méchouar. Pas de téléphone sur soi. Nous attendons l’arrivée de Sa Majesté et de son invité. Nous sommes alignés pour les saluer.

Sa Majesté le Roi, entouré de sa famille, salue les gens un par un. Malgré le nombre de femmes et d’hommes qui attendent, il serre la main de chacun. À certains, il dit quelques mots de bienvenue.

J’ai été très ému, comme d’habitude, de lui serrer la main et de l’entendre dire des mots gentils à mon égard.

Le matin, après l’interview donnée à France Inter, où j’ai fait l’éloge de notre Roi, des journalistes, dans les couloirs de la radio, me reprochent d’avoir été trop monarchiste. Je leur ai répondu: «Vous auriez préféré qu’on ait un président qui se fait élire par 98% des voix et avec 92% d’abstention?» Certains journalistes sont indécrottables, attachés à leurs préjugés. Pour eux, monarchie et démocratie seraient incompatibles.

Signature au palais des accords entre les deux pays.

Le soir, dîner à la résidence de l’ambassade de France. Un dîner superbe. Le cuisinier, marocain, est excellent. Ambiance détendue, sympathique. Edgar Morin (103 ans!) est là avec sa femme Sabah. Il est absolument extraordinaire. Il a conservé toute son intelligence et son érudition. Il entend moins bien, mais en dehors des jambes, tout fonctionne. François-Marie Banier photographie discrètement les gens qui l’intéressent. Des photos qu’on ne verra jamais.

«Victoire diplomatique, politique et culturelle du Maroc. La brouille est loin. Les malentendus aussi. Un nouveau départ pour une très vieille amitié, débarrassée de quelques mauvais souvenirs.»

Une polémique éclate dans les médias français sur la présence dans la délégation française de l’humoriste Yassine Belattar. On lui reproche d’être proche des islamistes. Ils se demandent pour quelles raisons il a été invité. Il s’est surtout présenté pour saluer Sa Majesté en tenue de sport… car sa valise a été perdue au cours du voyage.

Mardi. Intenses activités. La plus importante étant le beau discours d’Emmanuel Macron devant les deux chambres du Parlement. Les choses sont dites clairement. Applaudissements nourris. Satisfaction, auraient chanté les Rolling Stones.

Déjeuner au Chellah, entièrement restauré, face au Bouregreg et aux cigognes qui assistent de loin à la fête. La pluie est arrivée.

Macron me fait signe pour le rejoindre à l’autre côté de la table. Il me dit: «Tu vois, c’est formidable. Je suis très touché d’être dans ce pays magnifique. Merci, merci de ce que tu as fait.» Je lui dis: «Profite de ces moments». Il me répond: «Oui, j’ai vécu un enfer ces derniers temps». Puis il ajoute: «Nous nous verrons bientôt à Paris». Il a du mal à quitter Chellah, et tant de personnes se pressent pour lui parler. Patient, il les écoute, ou fait semblant. En tout cas, il est toujours souriant.

Le soir, dîner au Palais royal. Un service d’une efficacité et d’une précision remarquables. Les plats chauds sont servis en même temps sur la cinquantaine de tables. À la table du Roi, toute sa famille. Brigitte Macron porte une robe blanche. Emmanuel Macron est en costume sombre. Surtout, il est très content.

Tout le gouvernement est là. Jamel Debbouze a interrompu un tournage pour être là. Entre autres présents, Leila Slimani, Rachid Benzine, Ali Baddou, Pierre Assouline, etc.

C’est un dîner qui a duré plus de deux heures, chose très rare dans la tradition royale. C’est une façon de marquer l’importance que Sa Majesté souhaite donner à cette visite.

Mercredi. Le Président reçoit la communauté des Français installés au Maroc.

Retour le soir à Paris.

Les liens se sont retissés. Des accords ont été signés. Des projets discutés. La France investira à Laâyoune et à Dakhla. À aucun moment, le mot «Algérie» n’a été prononcé, mais il devait être dans tous les esprits.

Victoire diplomatique, politique et culturelle du Maroc. La brouille est loin. Les malentendus aussi. Un nouveau départ pour une très vieille amitié, débarrassée de quelques mauvais souvenirs. Une partie des médias français réclame une position plus équilibrée. Il ne faut pas fâcher les généraux. Patrick Cohen (d’origine marocaine), éditorialiste à France Inter, souligne que la colère du régime algérien va redoubler de férocité si Kamel Daoud obtient le Prix Goncourt.

Rendez-vous donc ce lundi dans 45 minutes, quand le lauréat du Prix Goncourt 2024 sera annoncé du restaurant Drouant, à Paris, à 12h45 précises.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 04/11/2024 à 10h58