Tanger-Casablanca dans Al Boraq, prestigieux train à grande vitesse. Son seul nom évoque le Paradis.
J’arrive à Casa-Voyageurs, paisible et sereine après un voyage très confortable. Mais je suis vite rattrapée par une des anarchies casablancaises.
Une longue file de taxis rouges. Les chauffeurs sont regroupés. L’un d’entre eux dit: «Je prends cette gawrya.»
Avec un grand sourire, il m’ouvre la portière. Quand je lui parle en arabe, il est déçu et m’apprend qu’il ne peut pas m’emmener dans mon quartier. «Va voir un autre chauffeur!»
Je proteste, râle, lui rappelle mes droits et ses devoirs. Il s’en fout: «Si j’étais une gawrya, tu m’aurais prise.» Réponse: «Toi tu ne vas pas payer comme la gawrya.»
Gawrya, tête occidentale, touriste à déplumer. Les autres chauffeurs refusent de me prendre. Ils regroupent chacun 3 clients par destination.
La magie d’Al Boraq s’est évaporée!
De nombreux chauffeurs malmènent les usagers. Ils choisissent les destinations qui les arrangent, sans embouteillage, ne s’arrêtent pas pour 2 et surtout 3 personnes. Ils prennent un seul passager pour en prendre séparément 2 autres et se faire payer 3 courses.
L’état des véhicules est souvent déplorable, sans confort: sièges sales et déchirés… Les amortisseurs sont parfois inexistants. Ils ouvrent grand les fenêtres même si vous êtes incommodés par le courant d’air.
Et expliquez-moi, s’il vous plaît, pourquoi la ceinture de sécurité n’est pas obligatoire! Réponse d’un chauffeur: «Face à un voleur, on doit être libre pour fuir. - Et les passagers? C’est dangereux. - Non, nous sommes musulmans. Dieu nous protège. -La ceinture est juste pour les non-musulmans? -Oui, des mécréants. Dieu les punit! -Mais elles protègent. -A’oudou bi Allah (je reviens à Dieu). C’est Lui qui protège. Ne dis jamais ça. Haram.» Sans commentaire!
Parfois, ils fument en conduisant et malheur à toi si tu protestes. Il arrive même que le chauffeur se racle la gorge et crache dehors, sans gêne.
Les discussions, ou plutôt les monologues, sont passionnantes. Dans un taxi avec mon mari, le chauffeur bat tous les records de l’indiscipline. On lui demande de respecter le code de conduite. Il s’énerve. Il klaxonne derrière une voiture qui veut tourner à gauche. Je lui dis que ce chauffeur a le droit de tourner. Réponse: «C’est une femme. -Et alors? -Moi je travaille, elle, elle n’a rien à faire, elle se promène. -Qui te l’a dit? Elle aussi a des responsabilités.»
Je lui demande s’il a une fille. Oui. «J’espère qu’elle ne vivra pas dans un pays où des hommes comme toi la mépriseraient.» Fin de la course. Il dit à mon mari: «Les paroles de ta femme, ils rentrent par une oreille et sortent de l’autre.» Mon mari, cool, estime qu’il n’a pas d’énergie à perdre avec pareil abruti.
Beaucoup ne sont ni aimables ni courtois. Si tu as une valise, ils ne t’ouvrent pas le coffre. Débrouille-toi pour la placer sur le porte-bagages. Lors du trajet, tu stresses à l’idée que ta valise soit projetée au sol.
Ils roulent à tombeau ouvert, vocifèrent des insultes, brûlent les feux rouges, les stops, roulent en sens inverse. Si tu protestes, ils s’énervent et te rappellent, encore et toujours, qu’ils travaillent pour leurs enfants. Ils doivent rouler vite pour gagner plus!
Ils s’arrêtent n’importe où pour prendre ou déposer le client: en plein boulevard, lors du feu rouge, dans les coins des rues, même quand ils ont de l’espace pour stationner. Si tu es lent ou prudent car tu regardes s’il n’y a pas de voiture ou moto qui te fonce dessus, ils s’énervent et avancent avant que ton deuxième pied ne soit sorti du véhicule.
Parfois, il te largue méchamment au coin d’une rue, loin de ta destination, pour échapper à l’embouteillage.
Certains commentent l’actualité à leur façon. D’autres te confient leur vie privée. D’autres te prennent à témoin quand ils voient passer un couple qui se tient par la main: «Regarde lamsakh (impudeur). C’est pour ça qu’il ne pleut plus!»
Ils s’arrêtent pour prendre d’autres passagers, en déposer ou seulement pour répondre aux usagers qui les hèlent: «Fine? alla (où? Non)!» Ou alors: «Tla’ (monte).»
La radio est à fond. Coran ou discours religieux qui te donnent l’impression d’être dans un enterrement. Sinon, des musiques que tu n’as pas envie d’entendre. Tu veux juste rester zen. Moi: «Dieu dit qu’on doit se concentrer sur l’écoute du Coran. Ici, tout le monde parle.» Lui: «Ce n’est pas pour l’écouter. C’est pour arrazque (une bonne recette)!»
Et pendant qu’il écoute le Coran, il sort sa tête de temps en temps pour insulter addine wa el malla (la religion) d’un conducteur ou un piéton.
Et gare à toi si tu n’as pas de monnaie: «Tu aurais dû me le dire. Tu me fais perdre mon temps. Je travaille, moi!»
Mais attention, il y a des chauffeurs polis, aux véhicules soignés, pleins d’humour. Mais c’est une minorité.
Heureusement, il y a des compagnies privées dont les services sont excellents. Le prix de la course est plus élevé, mais satisfaction garantie.
Le taxi rouge reste à un très bon prix. Un prix qui n’a pas flambé malgré toutes les augmentations qu’il y a eu ces dernières années. C’est pour ça que les usagers restent tolérants.
Dans les wilayas et les préfectures, il y a un service pour les réclamations des usagers. En principe, il y a des sanctions, conformément au code des taximen, qui vont de l’avertissement à la suspension du permis de confiance.
Mais rares sont les usagers qui réclament, y compris moi-même!
Tout chauffeur de taxi doit détenir un permis de confiance en plus du permis classique. Il suit des cours théoriques et pratiques. Il reçoit aussi une formation en accueil.
Le programme devrait consolider cette matière pour donner des chauffeurs capables de respecter le code de conduite et le code de courtoisie.