On croyait notre système de santé pauvre et déficient. L’épidémie de coronavirus nous a démontré à quel point nous sous-estimions son potentiel. Des infrastructures hospitalières dignes, des équipements disponibles et qui fonctionnent, un personnel médical et paramédical dévoué, alerte et d’une précieuse efficacité. Et surtout, des patients intégralement pris en charge, soignés, suivis et, avant tout, bien traités. Nous ne sommes pas dans une de ses nombreuses séries médicales à l’américaine où l’hôpital est à chaque épisode une haletante course à qui sauve le plus de vie.
Nous sommes au cœur de nos hôpitaux publics pendant ce qu’aura été une longue, pénible et éprouvante épidémie de Covid-19. Et c’est à la limite du réel tant le décor est impressionnant et admirable. Pendant qu’ailleurs, et même en Europe, les structures hospitalières étaient dépassées par les événements, les nôtres étaient au rendez-vous. Des ailes, voire des structures entières, dédiées, des standards thérapeutiques respectés à lettre, staff qualifié et des résultats plus que probants. Si le taux de létalité du Covid-19 dans le Royaume est parmi les plus faibles au monde, c’est grâce à l’action de la Santé publique pendant cette crise.
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De quoi effacer l’image négative de décennies entières où ce système a été réduit au statut du faute de mieux et de moyens. La pandémie du coronavirus nous aura appris que le système public de santé est indispensable. Aussi pointu et aussi massif soit-il, le privé ne peut venir qu’en complément. Cette pandémie nous aura aussi donné à voir les signes d’un début de réforme globale d’un système qui, tiens, est guérissable… Pour peu qu’on en prenne soin, qu’une politique claire soit définie et que des moyens soient déployés avec efficience. «Pour cela, il faut non pas une réforme, mais une refonte du système. Nous devons réfléchir autrement et un changement de paradigmes s’impose», déclare d’emblée Jaâfar Haikel, professeur en médecine et expert en management sanitaire.
Secrétaire général de l’Organisation démocratique du travail (ODT) et chercheur en politique de santé et des médicaments, Ali Lotfi ne dit pas autre chose. «La réforme sera profonde ou ne sera pas. Nous avons, tout au long des 20 dernières années, subi une politique d’hospitalo-centrisme qui n’a fait que remplir les poches des multinationales en termes d’équipements et de médicaments, au détriment d’une vraie politique de santé publique», déplore-t-il. Comment en sortir? Voici cinq pistes de réflexion.
Une région, un CHU, mais encore…On l’aura vu tout au long de la prévalence de la pandémie du coronavirus au Maroc : les Centres hospitaliers universitaires (CHU) ont joué un rôle majeur dans le programme de lutte marocain contre le Covid-19. Structures généralement tentaculaires, au fonctionnement quelque peu disparate, ces CHU ont dû vite s’adapter à la nouvelle situation. Restructuration, harmonisation des tâches et délimitation des responsabilités, avec création d’ailes et de cellules dédiées, mais aussi nouveaux équipements, notamment en matière de tests, de respirateurs et outils technologies de suivi des patients… Tout a été mis en place en un temps record. Au risque, fort bien venu, de trancher avec une image de médiocrité qui a longtemps marqué les services publics de santé. Encore faut-il transformer l’essai pour faire émerger non seulement de nouvelles structures (on compte seulement 6 CHU dans un Maroc qui compte 12 régions). Celles-ci sont promises, notamment à Tanger où un projet de CHU n’attend que son exécution, et à Rabat, où les maquettes d’un nouveau centre hospitalier font d’ores et déjà rêver.
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Est-ce assez?«Ce qu’il faut, c’est qu’à l’échelle d’une région par exemple, centres publics de soins et cabinets privés soient à même de fournir ensemble un package minimum de services à travers un réseau ambulatoire. Et c’est au patient de faire son choix. Il faut pour cela qu’hôpitaux et cliniques soient traités sur le même pied d’égalité et que les deux ensemble aient à répondre au même cahier des charges», dit l’expert en économie de la santé. C’est ce qui permettra de rehausser le niveau de l’hôpital public à travers une offre compétitive et mettre fin à sa paupérisation. «Il n’est pas normal que le taux d’occupation des lits dans le public soit d’à peine 60% alors qu’il est de 90% dans le privé».
Il n’est de richesse que d’hommesLa véritable force qu’a démontrée le Maroc, ce sont ces blouses blanches qui étaient en première ligne du front de lutte contre le coronavirus. Les Marocains ont (re)découvert des staffs médicaux et paramédicaux d’un haut niveau de compétence et de performances. Ne comptant pas leurs heures, ardus à la tâche, loin de leurs familles et de leurs proches, ces personnels soignants non seulement fait preuve d’une grande agilité et d’efficacité, mais aussi d’une admirable humanité envers les patients. Sauf qu’en dehors de la pandémie, ces femmes et ces hommes vivent le martyr en termes de conditions de travail et de vie. Il y a d’abord les salaires. Comptez pas plus de 11.000 dirhams par mois pour le médecin spécialisé le plus chevronné et quelque 7.000 dirhams comme plafond pour les infirmiers.
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Il y a aussi l’état des infrastructures, les horaires qui s’étirent et la sous-capacité dans laquelle se trouvent nombre de nos hôpitaux. Le ministère de tutelle s’engage déjà à combler les écarts en la matière et à revaloriser ses ressources sur le terrain. Plaidoyer pour une augmentation des postes budgétaires dédiés à la santé, contractualisation avec les médecins du privé pour combler les déficits constatés dans certaines spécialités, une gestion prévisionnelle des emplois et compétences… Amen.
«Il faut dans l’urgence instaurer une équation formation/emploi. Il est clair qu’il faut revaloriser les rétributions des professionnels de la santé publique au Maroc, mais en échange, établir des règles de performance. Pourquoi ne pas mettre en place un salaire fixe, auquel s’ajouterait une rémunération variable pour assurer cette performance, laquelle doit être évaluée par les pairs et non par une administration ou un syndicat?», demande Jaâfar Haikel.
Une loi nationale, un système d’information performant et une carte sanitaire pour l’accès de tous à la santéUn système de santé, c’est avant tout une stratégie nationale claire avec des orientations définies. Service public n°1, la santé au Maroc attend toujours l’adoption d’une loi nationale à même de garantir l’accès équitable de tous les citoyens à un système de qualité capable de mettre fin aux disparités territoriales et entre villes et campagnes. Au cœur de cette loi, la mise en place d’une carte sanitaire à même de définir, par région, province et commune, les besoins en offre de santé et d’y apporter les solutions qui s’imposent.
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Pour l’heure, c’est loin d’être le cas. En cause, le défaut d’un système d’information performant. «60% de la production de soins au Maroc sont assurés par le secteur privé, qui concentre 50% des effectifs travaillant le secteur. 90% des patients ayant l’AMO (Assurance maladie obligatoire) se dirigent vers le privé contre près de 25% des Ramedistes. Mais le ministère de la Santé ne dispose d’aucune donnée sur cette catégorie. On ne sait pas, par exemple, combien de diabétiques sont soignés dans le privé. De là à aboutir à un système de santé global, généralisé et efficace, il y a un long chemin à faire. A titre d’illustration, comment peut-on créer plus de lits en cardiologie dans une région donnée si on ne maîtrise pas les besoins en la matière», explique Jaâfar Haikel. Pour lui, un système d’information est un outil d’aide à la décision dont on ne peut plus faire l’économie.
Une offre de soin basée sur les besoins, et non sur les moyensQuantitativement, le ministère de la Santé table sur un taux de couverture maladie de 90% à l’horizon 2021. Mais le tout est de savoir ce qui sera véritablement «couvert» en offres de soins et de médicaments et si le principe du tiers payant en vue d’une prise en charge des patients est un jour (vraiment) activé. «Il faut que l’accès aux services de santé soit garanti en fonction de la maladie, et non en fonction de ses moyens. Pour l’instant, nous sommes toujours devant le constat que les mieux lotis se dirigent vers le privé et les plus démunis se tournent vers le public», dit Jaâfar Haikel.
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«Il faut aussi revenir aux soins de santé primaire. Pour l’instant, public comme privé attendent que les citoyens tombent malades pour agir, avec le coût que cela génère. Or, ce qu’il est indispensable de voir, ce sont les besoins épidémiologiques de chaque région et une action adaptée avant que le mal ne soit là. Que d’équipements achetés à coûts de millions de dirhams qui ont fini à la poubelle parce qu’ils ne servaient finalement à rien», affirme Ali Lotfi.
L’argent, le nerf de la guerreUn système de santé performant, moderne et accessible suppose des moyens conséquents. Si des secteurs aussi vitaux que la Santé et l’Education ont toujours fait les frais d’une approche macro-économique tendant coûte que coûte à réduire les dépenses de l’Etat, force est de constater que la démarche a été contre-productive. De la santé de la population dépend l’avenir du pays. La santé ne peut donc être réduite à une dépense, elle doit faire l’objet d’un investissement. Le budget de 18,5 milliards de dirhams dont est doté le secteur est donc à revoir. Des pistes comme des partenariats public-privé, la réforme budgétaire pour un financement pérenne et un contrôle efficace, une meilleure autonomisation financière des structures hospitalières et une hausse des allocations dues aux services décentralisés sont avancées. Ce qu’il faut désormais, c’est du concret.
«Il faut savoir qu’aujourd’hui, 60% des dépenses de santé au Maroc sont supportées par les ménages. Il faut là encore fixer une barre, celle limitant la part des ménages à 25%, les 75% devant être supportés par les assurances et l’Etat (ministère, régions, collectivités locales). Un des leviers majeurs pour cela reste les taxes, en imposant davantage les produits nuisibles à la santé par exemple», suggère Haikel. Autre levier, la réunification des multiples caisses d’assurance maladie en une seule Caisse nationale d’assurance maladie avec une Haute autorité de la santé, l’Agence nationale de l’assurance n’ayant pour l’heure aucun pouvoir sur les deux caisses existantes (CNSS pour le privé et CNOPS pour le public).