Selon le dernier rapport annuel du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ), plus de 16.700 demandes de mariage de mineurs ont été déposées en 2024. Le chiffre est énorme, bien qu’on puisse se réjouir d’une baisse de 17% par rapport à 2023.
Malgré cette baisse, la situation reste préoccupante. Le rapport révèle en effet que pas moins de 259.212 demandes de mariage de mineurs ont été déposées en 2024. Faut-il se satisfaire que seulement 6,46 % de ce chiffre aient abouti à un mariage effectif ou s’alarmer que près de 300.000 personnes envisagent encore de recourir à cette pratique? Pour mieux lutter contre une pratique intolérable, choisissons de nous indigner.
Ce rapport publié au bulletin officiel révèle que ces mariages, sans surprise, concernent majoritairement des filles du monde rural, avec 16.501 demandes. Le rapport alerte toutefois sur l’augmentation du nombre de garçons mineurs concernés, passés de 190 à 254, soit une hausse préoccupante de 33,68 % par rapport à 2023.
Quid du profil de ces jeunes? 65,56% ont 17 ans et 30,31% ont entre 16 et 17 ans. Les mineurs âgés de 15 à 16 ans ont quant à eux fait l’objet de 633 demandes dont 90 ont été accordées. La tranche des moins de 15 ans a fait l’objet de 59 demandes pour une seule acceptée.
Leur profil en dit long sur les motivations qui persistent derrière ces demandes. 92,53% d’entre eux ne sont pas instruits, 5,28% sont encore scolarisés et 2,19% sont déscolarisés. Fait intéressant, l’acceptation des demandes de mariage par les juges varie, les mineurs non scolarisés ayant vu leur mariage se concrétiser à hauteur de 64,26%.
Derrière ces chiffres, la trame d’une même histoire se déroule à travers les années, celle d’une pauvreté persistante dans le monde rural et de traditions qui ont la peau dure. Entre les lignes, on peut lire aussi la vulnérabilité des enfants et surtout des filles, qui pour soulager financièrement leurs familles, se voient condamnées à vie à l’exclusion sociale en se mariant trop jeunes.
Ce schéma commence par la déscolarisation, mène ensuite à l’absence d’intégration professionnelle et se solde par une condamnation à perpétuité à la fragilité économique et éducative. Et qu’on ne brandisse pas le contre-exemple de nos grands-mères, dont nombre d’entre elles se sont mariées trop jeunes et dont le couple est érigé en modèle de mariage durable et heureux. Il suffit de leur donner la parole pour comprendre que ces unions n’étaient pas désirées mais contraintes par des traditions archaïques acceptées alors comme des lois incontestables et préconisant aux jeunes filles le «sbar» (la patience).
Le plus choquant réside dans ce que ces chiffres ne disent pas: quel est le profil des demandeurs? Sont-ils eux-mêmes mineurs, pour parler d’histoires d’amour adolescentes? Ou s’agit-il d’adultes qui, sous leurs prétendues capes de sauveurs, assouvissent en réalité leurs désirs pervers? Dans ce dernier cas, la justice les fiche-t-elle comme des pédophiles pour les empêcher de nuire? Il est temps d’appeler un chat un chat: un adulte qui épouse un mineur est un pédophile.
Alors oui, ces chiffres sont en baisse et on ne peut que s’en réjouir. Mais ils sont encore inquiétants. Une partie de la jeunnesse est encore victime de ce fléau d’un autre âge, contrainte de grandir dans un Maroc où le mariage est perçu comme une porte de secours ou une promesse de vie meilleure. Cela est intolérable dans un pays où la justice se doit d’être universelle, s’appliquant équitablement dans les villes et dans les campagnes.
Les filles du monde rural, principales concernées par ce fléau, méritent elles aussi un tant soit peu de dignité et d’humanité, afin de sortir de cette jolie carte postale dans laquelle on les enferme, celle de la femme rurale qui vit dans un autre espace-temps, qui sourit malgré la misère, qui cultive l’hospitalité dans la pauvreté, qui affiche une sagesse insondable malgré l’analphabétisme et qui parvient à joindre les deux bouts en tissant des tapis et en faisant de l’huile d’argan pour des coopératives.






