Alors que la fête de l’Aïd El-Kebir s’annonce plus sacrificielle que jamais, tant pour la bête que pour son acquéreur prêt littéralement à se saigner pour l’égorger, alors que l’été se profile avec son lot d’offres alléchantes qu’on n’est pas certains de pouvoir se payer, tout ne va pas pour le mieux non plus dans le meilleur des mondes, celui des influenceurs aux sourires ultra brite que rien n’atteignait, pas même la crise.
Croisières, voyages à l’autre bout du monde, voitures de luxe, pool party avec dkaykiya pour la réussite au Bac de l’aîné de la famille, défilés de mode, anniversaires grandioses parce que sponsorisés, le tout documenté en live, en posts, en hashtags et en émoticônes… la vie rêvée des influenceurs n’est plus aussi rose. Et pour cause, elle compte désormais de nouveaux abonnés, les brigades du fisc.
Bien plus redoutables que les trolls, ces followers de l’ombre ne versent pas dans la méchanceté gratuite et le harcèlement, mais dans le calcul de vos revenus… Une terrible arme qui a fait se vider subitement de leurs contenus brandés quelques pages Instagram jadis populaires. Munis de logiciels à la pointe du progrès, ils évaluent le niveau de vie que vous affichez allègrement sur vos réseaux sociaux, pour ensuite passer le tout au shaker et comparer tout cet étalage de richesses et cet embourgeoisement dégoulinant avec vos déclarations.
Mais nos amis les influenceurs ne sont pas les seuls à être en proie à des sueurs froides en ce moment, pour peu qu’ils n’aient toujours pas entrepris de mentionner que leurs posts sont sponsorisés quand leurs contenus sont rémunérés -ce qui est pourtant une obligation sur les réseaux sociaux- ni de déclarer aux impôts les dix secondes de story facturées à 60.000 balles. Car si vous êtes du genre à vous inventer une vie sur les réseaux sociaux, vos petits mensonges risquent de vous nuire et de vous coûter un petit contrôle fiscal. La mythomanie a enfin trouvé un remède efficace, faut-il croire.
Idem si vous resquillez à déclarer aux impôts vos revenus réels, mais parvenez à vous payer tout de même voitures et biens immobiliers au-delà de vos prétendus revenus… La fête touche à sa fin et la gueule de bois risque d’être carabinée.
Cette manie de ne pas s’acquitter de ses impôts est monnaie courante au Maroc. Il suffit de faire un tour de son entourage pour se rendre compte de l’ampleur du phénomène. Entre ceux qui ne déclarent pas leurs revenus locatifs, ceux qui usent et abusent des fausses factures, ceux qui ne déclarent pas leurs revenus réels et ceux qui misent tout sur le noir… tout prétexte est bon pour resquiller. Après tout, «pourquoi partager mon gâteau alors que je n’ai reçu aucune aide de l’État?», arguent certains, quand les autres, à la tête de petites entreprises, pensent passer sous les radars du fisc car «ils ont déjà beaucoup à faire avec les plus gros poissons», ceux qui brassent des millions et grossissent à vue d’œil.
On applique ainsi cette logique implacable qui consiste à feindre ne pas comprendre pourquoi on devrait se «sacrifier» pour les autres, pourquoi on devrait attendre sagement son tour dans la queue quand les autres nous passent devant, pourquoi on devrait jeter ses détritus à la poubelle quand les autres ne le font pas. Encore aujourd’hui, être un «bon citoyen», c’est être le dindon de la farce, le gentil meskine qui n’a rien compris au système et qui se fait entuber bel fen dans ce monde de requins taillé pour les prédateurs.
Quand bien même serez-vous doté des plus belles intentions, on vous encouragera à resquiller, à profiter du système vous aussi, pour croquer à votre tour et participer ainsi à enrichir un autre système parallèle, celui de la corruption.
Étrangement, ceux-là mêmes qui ne s’acquittent pas de leurs impôts ne se privent pourtant pas de se plaindre de l’état des routes, des infrastructures publiques en mauvais état, de la corruption qui sévit à tous les niveaux, mais aussi et surtout de l’état déplorable des services publics. Paradoxalement, on se ruine en envoyant ses gamins en écoles privées ou en se faisant soigner à l’étranger. C’est la même logique qui consiste à ne pas voter aux élections et à se plaindre du résultat des urnes.
Et pourtant, on affiche fièrement son patriotisme, son attachement aux constantes du pays. On est prêt à dégainer le drapeau en cas de victoires ou dans l’adversité. On applaudit le développement du Maroc, mais sans pour autant y prendre part pleinement. C’est le serpent qui se mord la queue, à l’infini.