On nous dit qu’il y a un «esprit» à Essaouira, et qu’il faut le préserver. Mais il se trouve que personne n’est capable de définir ce quelque chose de spécial, cet esprit: vient-il de la mer ou du vent qui berce cette petite cité de l’Atlantique; vient-il du passé lointain de la ville, de ces saints juifs et musulmans qui veillent sur les remparts de l’ancienne Mogador?
Comme personne ne peut définir cet esprit, on va l’appeler djinn. Un bon djinn, de ceux qui nous ouvrent les yeux sur un monde meilleur et ne nous veulent que du bien.
À Assilah aussi, il y a cet esprit, ce djinn. C’est lui qui vous prend la main dès que vos pieds fouleront le sol de la médina. Vous allez alors être surpris par vous-même. Parce que vous distribuez des sourires à droite et à gauche, vous êtes patient et conciliant, désinhibé, vous n’avez plus peur de rien, vous goûtez à la mixité sociale et à cette quiétude qui fait qu’un barbu croise le regard d’un hippie sans le fusiller de ce regard en chien de faïence qui fait froid dans le dos.
Cet esprit, ce djinn, il faut non seulement le préserver, mais le cultiver et le mélanger, plus tard, avec les graines de thé ou de café pour que tous les Marocains puissent boire cet esprit et s’en imprégner.
Parce que cet esprit existe dans tout le Maroc, pas seulement à Essaouira ou Assilah. Pas seulement dans les vieilles cités chargées d’histoire. Pas seulement le temps d’un moussem, un festival ou un colloque bien arrosé.
Et vous n’avez pas besoin d’entrer en transe, le temps d’une lila ou d’une hadra, pour entrer en contact avec cet être surnaturel.
Ce bon petit djinn est trop souvent tapi dans l’ombre des mauvais jours et des mauvais réflexes, il est dormant, caché par l’amertume, l’écume du quotidien, la routine, la méfiance et la défiance qui s’emparent de nous dès que l’on affronte une nouvelle journée. Il attend son heure, sa petite parenthèse enchantée le temps d’une virée à Essaouira, Assilah ou ailleurs.
C’est cet esprit, quand il est en éveil, qui nous fait aimer ces villes, ces endroits, ces voyages, ces moments. Mais il faut lui faire quitter sa dimension surnaturelle et le rendre réel. Il faut transformer le djinn en être humain, un petit homme, faisons-en notre petit double.
Parce que la magie de ces endroits n’est rien qu’une petite lumière que nous portons en nous.
Au moment où beaucoup parmi nous partent en vacances, parfois très loin, c’est ce petit double qu’ils cherchent, cette petite paix intérieure. Rien d’autre. Nous partons très loin pour nous rapprocher de ce petit double, ce bon djinn, alors qu’il est juste là, en nous.
Puissions-nous le retrouver, le rallumer et le tenir en éveil, nous avons tant besoin de sa petite lumière, sa douceur de vivre, sa quiétude sociale.