Les petites annonces, quand on y regarde de près, en disent long sur une société, ses attentes, ses spécificités et ses complexes. C’est notamment le cas des annonces de location immobilières postées par des particuliers sur Internet et dans lesquelles transparaissent, au-delà des caractéristiques du bien à louer, racisme et intolérance.
Certes, les démarches à entreprendre pour une personne en quête d’un domicile sont bien moins compliquées qu’en France par exemple. On vous demandera certainement vos dernières fiches de salaire, une pièce d’identité, mais on fera l’impasse sur vos extraits de comptes bancaires, vos fiches d’imposition, une caution parentale, le blocage de plusieurs mois de loyer sur un compte… Au Maroc, on marche encore beaucoup à la confiance, à la parole qu’on se donne. Il en résulte parfois de bonnes surprises et parfois de mauvaises évidemment, car c’est ce qui arrive souvent quand on ne prend pas les précautions nécessaires. Que ce soit en matière d’immobilier, de business ou d’amour, la logique est la même.
Mais plutôt que d’exiger davantage de garanties des locataires, certains propriétaires marocains préfèrent se simplifier la tâche en refusant de louer leur bien… à des Marocains.
Dans une petite annonce postée dernièrement sur Facebook, un propriétaire mettait en location sa maison au Maroc, en énumérant ses caractéristiques et en ajoutant à la fin la mention «à louer uniquement aux Européens». Une phrase choquante qui n’a pas manqué de faire réagir. Mais face aux critiques lui reprochant de faire ce distinguo puant, le propriétaire ne s’est pas démonté pour autant et a défendu son point de vue en décrétant qu’il voulait être sûr de percevoir son loyer et de récupérer une maison propre et bien entretenue à la fin du bail, chose, d’après lui, impossible à garantir avec des locataires marocains, mais en revanche assurée avec des Européens. Et de conclure, agacé: «C’est ma maison, j’en fais ce que j’en veux!»
Cette petite annonce n’est pas une exception. Elle témoigne d’un état d’esprit encore bien enraciné chez nous qui consiste à valoriser les étrangers, mais pas n’importe lesquels: les blancs. Les Subsahariens ne le savent que trop bien, eux qui vivent de plein fouet le racisme avec des annonces précisant «pas d’Africains!» et peinent à trouver des propriétaires conscients, d’une part, que le Marocain est un Africain et, d’autre part, que les Subsahariens ne sont pas une sous-race.
Mais pour un Marocain qui subit, dans son propre pays, un racisme digne d’un pays occidental où les valeurs d’extrême droite ont fait leur lit, la chose est autrement violente. Cette discrimination raciale, pratiquée entre gens d’une même nationalité, flirte avec une sévère schizophrénie et, vue d’ailleurs, fait assurément figure d’exception. On n’aura jamais vu, en France par exemple, un propriétaire français refuser de louer son bien à un «Français de souche» au profit d’un étranger, à salaire égal, sous prétexte qu’il est Français.
Au Maroc, où on s’offusque de ce que subissent nos compatriotes en Occident en termes de racisme et d’injustices, on se dit Marocain, on le revendique, on en est fier, on tient des discours patriotes, nationalistes, religieux, mais on porte un regard dégradant sur nos congénères dès lors qu’un Occidental pointe le bout de son nez.
Si encore il s’agissait de discrimination positive… Mais non, ce sont bien des clichés datant de la lointaine époque coloniale qui refont surface et prennent le dessus sur le bon sens. L’Occidental est ponctuel, sérieux, efficace, c’est une personne de parole, contrairement à nous autres, les Marocains, qui sommes désorganisés, indignes de confiance, peu professionnels, peu soigneux, imprévisibles… En somme, l’homme occidental fait figure d’adulte responsable, tandis que nous autres sommes cantonnés à ce rôle d’enfant niais, paresseux, menteur et turbulent.
C’est un cliché qui fait très mal, d’autant qu’il est largement véhiculé au Maroc, notamment dans les classes sociales défavorisées, où le fait de travailler pour un nassrani fait office de curriculum vitæ et est encore considéré comme quelque chose de valorisant. Cet état d’esprit se retrouve aussi un peu plus haut dans l’échelle sociale, chez ceux qui côtoient dans la sphère privée des Occidentaux et en retirent une certaine fierté. Si cette personne fantasmée, que l’on considère être supérieure à nous, nous accorde du crédit et de l’attention, cela implique que nous valons quelque chose…
Fort heureusement, une prise de conscience est en cours chez les jeunes générations, qui expriment leurs différences avec leurs aînés ne serait-ce que par leur emploi de la langue anglaise aux dépens du français, une langue assimilée au colonialisme. Le référentiel n’est plus le même. Il faut aussi compter sur le fort élan nationaliste qui prend forme sur les réseaux sociaux et influe aussi peu à peu sur les mentalités, se faisant porteur d’un message important: connaître notre histoire et notre culture pour mieux les valoriser, et ainsi nous valoriser nous-mêmes.
Associé à la course au progrès dans laquelle s’inscrit le Maroc, avec son lot de nouvelles infrastructures, d’écoles de qualité et, espérons-le, de plus de justice sociale, reste à espérer que cet état d’esprit permettra d’endiguer la fuite des cerveaux qui vide notre pays de la matière grise qui lui est nécessaire pour contrer ce genre de clichés insupportables.