Scène de la vie quotidienne. Vendredi après-midi, dans l’ascenseur qui me ramène sur le sol, trois jeunes femmes sont absorbées par leurs téléphones et parlent d’une même voix: «Quoi, quoi? Six ans? Et cette Laura qui pleure… Mais pourquoi elle pleure, cette comédienne? Ne devrait-elle pas, plutôt, fêter tout l’argent et la célébrité qui vont lui tomber sur la tête?».
Témoin passif de cette scène terrible, mais dont les ressorts sont très complexes, j’avais mille choses à dire à ces trois jeunes femmes. Ce billet leur est en quelque sorte dédié. Je leur écris ce que je n’ai pas pu ou su leur dire.
La réaction spontanée de ces jeunes femmes déclenche en nous au moins deux réactions parfaitement opposées. D’un côté, il y a la colère, le rejet total, l’indignation, l’incompréhension: comment des femmes peuvent-elles dénigrer une femme qui, comme la justice vient de l’établir, a été violée et violentée? Comment peuvent-elles ignorer ou moquer sa souffrance, son traumatisme, ses larmes? Comment est-il possible de mettre tout cela de côté, de le prendre à la légère? Mais dans quel monde vivons-nous? Qu’avons-nous raté dans notre éducation, dans notre culture, pour en arriver là?
D’un autre côté, il y a la compassion, la tristesse, le malaise, le désarroi. Saad Lamjarred ou n’importe quel Marocain qui réussit, qui brille, dans la musique ou le foot, devient de facto un membre de la famille. C’est humain. Ce n’est pas la tête qui le dit mais le cœur. Ce n’est pas très rationnel, mais on n’y échappera jamais.
Rappelez-vous de ce cousin, ce neveu, cet enfant du quartier, qui brille dans ses études. Il devient notre protégé, notre fierté, notre représentant personnel. Une partie de nos rêves se reporte sur sa petite personne. Alors on le suit de près, comme un bien précieux. Même les voyous du quartier vont lui servir de bouclier, prêts à l’escorter et à nettoyer le sol sous ses pieds.
Pour beaucoup de personnes, malgré sa descente aux enfers, la pop star marocaine a été et reste un peu cela, cette magnifique représentation, ce délégué personnel porteur de tous les rêves, cet intouchable. Comme les jeunes femmes dans l’ascenseur: elles ne voient que cette dimension, elles ne voient que leur idéal qui s’écroule, leur rêve qui se brise. Elles ferment les yeux sur le reste.
Par un roulement extraordinaire, et surtout indécent, la pop star marocaine devient la victime de l’histoire. Cette posture réduit l’affaire à un simple litige entre deux personnes, elle déshumanise Laura et la présente simplement comme celle par qui le drame arrive. Cette posture est un aveuglement.