Tous ceux qui ont fait des études d’économie connaissent la fameuse ‘loi de Gresham’, qui énonce que «la mauvaise monnaie chasse la bonne». Lorsque deux monnaies circulent simultanément dans un pays (disons l’une faite de pièces d’or et l’autre de pièces d’argent), la monnaie de moindre valeur tend à supplanter l’autre dans les échanges. Il est assez intuitif, dans l’exemple que nous avons pris, que les agents économiques préfèreront conserver - thésauriser - les pièces d’or et utiliser les pièces d’argent pour les transactions. L’or restera dans les coffres et l’argent circulera. La «mauvaise» monnaie - tout est relatif… - aura chassé la bonne.
En observant ce qui se passe sur la Toile et, en particulier, sur les réseaux sociaux, je crois qu’on peut énoncer une loi analogue à celle de Gresham: la mauvaise parole chasse la bonne.
J’en veux pour preuve le succès affligeant que rencontrent toutes ces chaînes YouTube qui propagent des mensonges, des accusations sans preuves, des affirmations gratuites. Elles rencontrent un succès inouï - et inquiétant.
Faites un reportage objectif sur l’action du ministre Flane, sur les chantiers qu’il a lancés, sur ce qu’il a réalisé et sur la façon dont il conduit ses équipes; votre documentaire accumulera quelques centaines de vues, au grand maximum. Accusez - sans rien qui puisse étayer l’accusation - ce même Flane de détourner les fonds publics, d’entretenir une danseuse balinaise et d’avoir trempé dans quelques assassinats (dont celui de Kennedy, même si Flane n’était même pas né en 1963), et vous aurez un million de vues. La mauvaise parole (la diffamation) a chassé la bonne (les faits).
Quand Internet a été inventé, je me souviens d’avoir écrit quelque part que c’était une catastrophe. On m’avait traité de passéiste, de nostalgique des diligences et des montgolfières, etc. Pourtant, quelques décennies plus tard, on est bien obligé d’admettre l’ampleur de la catastrophe. Le monde est devenu plus méchant, plus médisant, plus complotiste qu’à l’époque où ne prenaient la parole que des éditorialistes dûment munis d’une carte de journaliste - et responsables devant la justice s’ils diffamaient quelqu’un ou s’ils propageaient des mensonges avérés.
Au cours de la semaine écoulée, j’ai vu dans mon entourage des gens «partager» des vidéos tirées de chaînes YouTube qui pratiquent le chantage et la désinformation, ainsi qu’un document contenant des accusations graves contre un personnage public - le tout ne contenant pas la moindre preuve!
Que faire contre ce qui s’apparente à un débordement d’égouts nauséabonds? Deux choses, me semble-t-il, l’une relevant de l’État, l’autre du citoyen.
Pour ce qui est de l’État, il faudrait renforcer les lois qui interdisent la diffamation en prévoyant des peines très sévères pour ceux qui la pratiquent et en faisant systématiquement la chasse à ceux-ci, sur la Toile.
Pour ce qui est du citoyen, c’est-à-dire vous et moi, il faut s’astreindre à une discipline stricte. Je vais l’écrire en lettres capitales: ON N’EST PAS OBLIGÉ DE PARTAGER. Plus précisément, si l’on reçoit un document ou une vidéo contenant des accusations contre X ou Y, sans le moindre début de preuve, on n’est pas obligé de partager cette boue avec tous ses contacts. Mieux: on ferait bien de l’effacer immédiatement et de passer à autre chose. C’est ce que je fais.
En revanche, il n’est pas interdit de partager des informations avérées, des documentaires intéressants, des opinions mesurées et qui peuvent ouvrir un débat enrichissant pour tous.
Oserai-je écrire qu’il n’est pas interdit de partager ce qui précède?





