Un auteur québécois, Kevin Lambert, dont le dernier roman «Que notre joie demeure» (Édition Le Nouvel Attila) a figuré sur la première liste des romans sélectionnés par l’Académie Goncourt, est au centre d’une polémique. On apprend que cet auteur a eu recours à la technique de «Sensitivity readers» pour purger de son texte les mots, expressions ou phrases susceptibles de choquer des minorités.
Aux États-Unis, un courant s’est installé dans les mentalités sous la pression de toutes les minorités, allant des homosexuels aux obèses, des personnes qui changent de genre, etc. Ce courant est plus qu’une mode.
Je connais un galeriste à New York qui n’expose que des artistes noirs gays. Un artiste noir hétérosexuel ou un artiste blanc homosexuel n’a aucune chance de voir ses œuvres exposées. Le masculin n’est plus dominant en grammaire française. On est obligé de lever cette domination en nommant l’élément féminin.
Aujourd’hui, en Amérique, un écrivain quel que soit son talent, a moins de chance de trouver un éditeur et une presse favorable s’il est un homme blanc, hétérosexuel.
Le temps des littératures genrées (celles du genre et changement de sexe) est arrivé.
L’écrivain, disons banal, doit faire très attention en écrivant. Il ne doit pas stigmatiser une ethnie, une tendance sexuelle, un choix de genre, une personne obèse ou faisant partie d’une croyance rare.
L’auteur québécois a fait passer son roman dans la «machine nettoyante» dite «Sensitivity readers». Une polémique est née dans Le Figaro où l’ancien prix Goncourt Nicolas Mathieu reproche à l’Académie Goncourt d’avoir retenu un livre passé par cette machine, sorte de censure acceptée.
En bref, Nicolas Mathieu dit qu’«il faut écrire sans tutelle ni police». Il réclame la liberté absolue pour tout écrivain. Or, à partir du moment où l’on soumet son texte à une machine qui le purge, on perd cette liberté. C’est la fin de l’imagination, de la fantaisie, de l’humour, de la création et de la littérature qui nous fait rêver, voyager, qui nous nourrit et nous enrichit.
Heureusement qu’au Maghreb, nous n’en sommes pas là. Je viens de lire un livre terrible d’une femme qui écrit sous le pseudo «Nedjma». Elle est sous la menace d’une fatwa émise contre elle par un chef religieux en Tunisie. Son nouveau roman, intitulé «Les Coquelicots», est une bombe. J’ai rarement lu un texte aussi cru, aussi violent et aussi brutal dans le domaine de la sexualité telle qu’elle est vécue dans les trois pays maghrébins. C’est une prostituée qui, comme elle le dit, «ouvre sa gueule» et dit tout, absolument tout sur les hommes, les pauvres, les riches, les citadins, les paysans, les éduqués, les voyous, les salauds, les hypocrites, les violeurs, les pédocriminels, les pervers, les intégristes religieux, etc.
Elle raconte sa vie sans rien laisser de côté. Elle n’a aucun scrupule ni censure.
«L’Amande», son premier roman, avait obtenu un beau succès et avait été traduit dans plusieurs langues. Une femme arabe qui ose écrire sur ses expériences sexuelles sans filtre, sans retenue. Avec «Les Coquelicots», elle poursuit ses voyages à travers les corps des hommes et des femmes de notre Maghreb bien aimé.
On sort lessivé de cette lecture. On est loin du wokisme. Je me demande si ce roman sera traduit en anglais. Le monde anglo-saxon est complètement contaminé par ce nouveau visage de la censure qu’est le wokisme. Ça menace d’arriver en France, et ce qui arrive en France, finit par se produire aussi dans les autres pays francophones.
Lisez «Les Coquelicots» de Nedjma. Lisez-le avant que notre censure humaine ne le bloque à la douane. Il est publié chez Plon.
Extrait :
«Il y a aussi l’autre faim. L’innommable. L’implacable. La misérable. L’insidieuse. L’insensée. L’impérieuse. La violeuse. La tueuse. L’incestueuse. La nécrophile. La hideuse. Celle qui relègue les humains en sous-merde surclassée par tous les rats, chacals, vautours, cafards et scorpions de la Création. Celle qui rend fou. Celle qui pousse au crime. La faim qui n’espère et ne peut trouver pitance -le simple acte de coupler, pourtant à la portée de tout être vivant, étant strictement interdit chez nous aux hommes et femmes sans mariage. Ce que n’importe quel chien galeux ou chienne en chaleur peut vivre bruyamment, publiquement et librement, ce que le moindre âne en rut peut se payer avec n’importe quelle ânesse péteuse sans rendre de comptes à qui que ce soit, pas même à son maître, un humain vivant sous ce couvercle de plomb ne peut le faire sans l’assentiment des parents, des juges et des cadis, des oulémas et des policiers, des agents civils, des pères, mères et grands-mères, cousins et voisins, s’il le faut».