Alors que le Royaume se prépare à accueillir la Coupe d’Afrique des nations en 2025 puis la Coupe du monde de football en 2030, l’attention ne se limite plus aux stades flambant neufs et aux réseaux de transport modernisés. Une autre question, plus délicate, s’impose: celle du comportement civique. Car au-delà des infrastructures, c’est l’attitude des citoyens qui sera scrutée par des millions de visiteurs, relève le magazine Jeune Afrique.
Le Centre marocain pour la citoyenneté (CMC), dirigé par Rachid Essedik, tire la sonnette d’alarme. Dans une étude publiée récemment l’organisme met en lumière un décalage préoccupant. Si la majorité des Marocains se disent attachés à des valeurs comme le respect, la solidarité ou la responsabilité, ces principes peinent à se traduire dans leur vie quotidienne. «Instaurer une culture de la citoyenneté ne relève pas uniquement de l’État», rappelle Essedik, qui prépare le lancement d’un Observatoire national du civisme.
Selon l’étude, cet écart s’explique par plusieurs facteurs. Parmi eux, l’affaiblissement des liens sociaux traditionnels lié à l’urbanisation, une éducation civique insuffisante tant à l’école qu’au sein des familles, et une relation ambiguë à la loi, perçue davantage comme une contrainte que comme une règle commune.
Les conséquences sont visibles au quotidien. Conduite routière chaotique, occupation sauvage de l’espace public, sentiment d’impunité. Le harcèlement des femmes, que 70% des sondés qualifient de «très préoccupant», illustre également la gravité du phénomène. «Ce problème réduit leur liberté de circulation, alimente leur repli et contredit l’image d’ouverture et de modernité que le Maroc souhaite projeter», insiste Rachid Essedik.
Seuls 1,9% des Marocains estiment l’action de l’État efficace en matière de civisme. Un chiffre alarmant, qui traduit une défiance face à des initiatives souvent ponctuelles, déconnectées des réalités locales ou réduites à de simples slogans. Pour Essedik, seule une stratégie intégrée, mobilisant l’école, la famille, l’espace public et les médias, peut restaurer la confiance, rapporte Jeune Afrique.
Dans ce contexte, la CAN 2025 et le Mondial 2030 apparaissent comme des catalyseurs. «La CAN permettra de mesurer notre capacité à gérer non seulement l’organisation sportive, mais aussi l’accueil, la discipline collective et l’image renvoyée par nos citoyens», prévient Essedik. Quant au Mondial, il doit être envisagé comme un chantier structurant à long terme: propreté, signalétique, transports, lutte contre les arnaques et contre le harcèlement feront partie intégrante de l’expérience des visiteurs et conditionneront l’image internationale du Maroc, a-t-on encore lu.
Pour accompagner cette transformation, le CMC mise sur le futur Observatoire national du civisme. Sa mission sera double: produire des données fiables et sensibiliser les citoyens à travers rapports, campagnes et rencontres. «Cet observatoire doit devenir une référence nationale, un espace de dialogue entre pouvoirs publics, société civile et citoyens», souligne Essedik. Présentée au Conseil économique, social et environnemental (Cese), l’initiative bénéficie déjà d’un appui institutionnel, mais reste en attente d’une véritable stratégie gouvernementale.
À plus long terme, le président du CMC plaide pour une transformation culturelle en profondeur. Il cite le Rwanda, la Corée du Sud ou encore Singapour comme exemples de pays ayant bâti une société civique solide en combinant éducation, exemplarité des dirigeants et tolérance zéro face aux incivilités.
Pour le Royaume, cela suppose de replacer la citoyenneté au cœur de l’école, de valoriser les comportements exemplaires et de tirer parti des outils numériques pour mobiliser les jeunes générations. «Le Mondial 2030 doit être une opportunité de changement durable, pas un simple événement ponctuel», conclut Rachid Essedik. Mais ce pari ne pourra être gagné qu’avec une volonté politique claire et assumée. Sans cela, le civisme restera cantonné au registre associatif.
Pris au sérieux, en revanche, ces rendez-vous sportifs pourraient marquer un tournant: celui d’un Royaume conjuguant infrastructures modernes et comportements exemplaires, au bénéfice de son image internationale comme de sa cohésion sociale.






