Ils sont partout!

Tahar Ben Jelloun.

Tahar Ben Jelloun.

ChroniquePour ceux qui ne le savent pas encore, voici un scoop: le Maroc occupe la France. Jugez-en par vous-mêmes!

Le 19/06/2023 à 11h06

Comme chaque année, je passe une journée à l’hôpital pour une série d’examens. Question prévention.

Le professeur qui m’a prescrit cette série d’examens est un Français de souche, une célébrité et surtout un médecin très compétent. Son adjoint est le docteur Lamrani. Marocain évidemment.

J’arrive tôt le matin à l’hôpital Lariboisière, dans le 10ème arrondissement de Paris. Je suis reçu par une infirmière-chef dont le prénom est Amina. Elle me met entre les mains de Souad, une jolie Berbère pour la prise de sang.

Vérification de la tension artérielle est opérée par Mme Habib.

Épreuve d’effort effectuée sous la direction du Dr Ouassini, un jeune homme dont les parents sont de Tétouan.

En fin de matinée, un médecin d’une quarantaine d’années lit les résultats des analyses et me pose des questions habituelles. Je me penche pour lire son nom sur la blouse blanche: Dr A. Bennis.

Je n’ai pu m’empêcher de lui parler de ses origines et pourquoi il travaille dans cet hôpital.

Il commence par m’informer qu’environ douze mille médecins maghrébins exercent en France, et qu’il y a une pénurie assez inquiétante dans ce domaine, pas seulement à cause des déserts médicaux, mais du fait qu’il y a de moins en moins de candidats pour faire médecine.

Je lui dis que je viens d’apprendre sur Le360 que le Maroc perd chaque année 700 médecins au profit de la France et d’autres pays européens.

Il me répond: «Ça ne m’étonne pas».

Réaction: mais, enfin le Maroc dépense beaucoup d’argent pour vous former. Les études de médecine ne sont pas payantes chez nous. Pourquoi cette ingratitude? Pourquoi ce manque de patriotisme?

Gêné, le docteur Bennis, se met à me raconter sa vie, son cabinet dans un quartier populaire d’Oujda, ses difficultés pour joindre les deux bouts, sa femme, enseignante dans un lycée, le pousse à accepter un poste au Canada, mais les conditions climatiques de ce pays les dissuadent; ils choisissent la France. Un an plus tard, ils obtiennent la nationalité française.

J’ai rendez-vous ensuite avec le cardiologue. Grand de taille, brun, élégant, parle un français sans accent. Son nom: Aziz El Ouali.

Discussion: 700 médecins marocains… etc.

Lui: oui, j’ai voulu travailler dans mon pays, j’ai rejoint l’hôpital public, je ne vous parle pas du salaire, mais des conditions de travail: beaucoup de choses manquent, le laisser-aller du personnel, mal payé, la corruption, etc. Je suis allé ensuite travailler dans une clinique dirigée par un ami, j’ai été dégoûté par la rapacité de mes collègues. La clinique était pire qu’un supermarché. La valeur essentielle, c’est l’argent. Je n’ai pas tenu. Une opportunité s’est présentée, j’en ai profité.

L’après-midi:

Scanner thoracique. Trois jeunes femmes s’occupent de me préparer pour passer dans la machine du scanner. Elles sont infirmières d’État, formées, l’une à Dijon, les deux autres à Paris. Fatéma m’administre un liquide et Valérie me demande d’attendre.

Après le scanner j’attends dans une salle les résultats. On m’appelle. «Le docteur va vous interpréter les résultats».

Il s’appelle: Ben Slama. J’ai un doute. Arabe? Juif sépharade? je lui pose la question de son identité: Algérien, mais j’adore le Maroc. En fait père algérien, mère marocaine.

En sortant de l’hôpital, je m’arrête devant le concierge, un Africain. Il s’appelle Jean François. Je lui pose la question de savoir si c’est son prénom d’origine. Il me répond: non. J’ai fait des études d’ingénieur que j’ai dû abandonner. Il y a longtemps de cela. Quand j’ai obtenu la nationalité française, on m’a demandé de changer de nom, parce que l’original est difficile à prononcer et encore moins à retenir. J’ai opté pour Jean François. Mon nom est François. Jean est mon prénom.

Je lui demande: et le racisme ?

-C’est tous les jours. On ne fait plus attention.

C’est peut-être un hasard, mais la pharmacienne en bas de chez moi s’appelle Ghizlane, un prénom en vogue au Maroc.

Le lendemain, rendez-vous avec le dermatologue. Il s’appelle Michel. Il est corse. Français, donc. Il m’apprend qu’il vient d’acquérir la nationalité marocaine, que SM le Roi lui a accordée!

Les Marocains sont partout!

Avant de partir, il me dit: «l’un des jeunes gens qui écrivent les discours du président Macron est un Marocain, il est de Tanger».

Je me dis: une des plumes de Macron est marocaine, c’est toujours ça de pris!

Par Tahar Ben Jelloun
Le 19/06/2023 à 11h06