La scène est à Essaouira, mais elle dit beaucoup plus que cela. À Bayt Dakira, vendredi 19 septembre 2025, André Azoulay a rappelé la vocation du Maroc: faire converger les mémoires et donner à la richesse de nos diversités non pas le visage de la crise mais celui d’une richesse partagée.
«Joumoua Moubaraka, Shabbat Shalom.» D’entrée, le ton est donné. André Azoulay invite à «mesurer le degré d’exception, d’émotion, de fierté et d’espoir» qui se vit ce soir-là.
Il ajoute qu’«il n’y a pas un endroit au monde où ce que nous faisons ce soir serait possible.» Car nous sommes à Essaouira, en terre d’Islam, dans un lieu unique: une synagogue où, ce soir, Hicham récite un verset de Coran, où d’ordinaire, le prêtre est présent et où se croisent, parfois simultanément, la prière juive, la messe catholique et la psalmodie coranique. «Un dimanche matin, des juifs priaient, le nonce apostolique célébrait la messe, Hicham déclamait le Coran. Tout cela dans le même endroit. Et c’est ici que ça se passe.»
André Azoulay fixe les regards et résume d’un souffle. C’est ici que ça se passe. Ici et nulle part ailleurs. Il ajoute qu’au même moment, au-delà des murs de cette maison de mémoire, le monde s’embrase. La guerre est là, omniprésente, implacable. «Mais nous ne lâchons pas. Nous ne cesserons pas. La tragédie que nous vivons a aussi tué la parole. Ceux qui parlent beaucoup ne sont pas les faiseurs de paix. La véritable parole s’éteint alors que les millions d’hommes et de femmes qui pensent comme nous, qui militent comme nous, qui aspirent à la coexistence et à la paix, se taisent. Ce silence est une tragédie».
«Nous ne nous tairons pas. Nous n’abandonnerons pas»
Le président de l’Association Essaouira-Mogador ne s’embarrasse pas de formules diplomatiques. Il dit ce qu’il pense et ce que beaucoup murmurent. «Nous sommes pour un État palestinien. Nous sommes pour deux États oú les valeurs de justice, de dignité et de souveraineté seraient les mêmes pour tous et éligibles à tous. Rien de plus, rien de moins et c’est pour y aider que nous sommes réunis à Essaouira,pour dire aussi que nous ne nous tairons pas, nous n’abandonnerons pas», dit-il.
Il évoque alors un «ami cher», Ali Abu Awwad, figure palestinienne de la promotion de la paix, présent dans la salle et rencontré il y a une trentaine d’années pour la première fois à Paris. Il se souvient de cette rencontre comme si c’était hier. Quelques minutes suffirent pour appeler les choses par leur nom. Aucune fioriture, aucun masque. Une conversation directe, dans laquelle se sont partagés les convictions mais aussi les échecs, les angoisses, les combats. Il décrit l’homme avec admiration. Il continue à se battre.
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La salle écoute, suspendue à ses mots. Bayt Dakira, rappelle-t-il, n’est pas un musée. C’est une maison vivante. Une mémoire en mouvement. Une mémoire qui se nourrit des rencontres et qui trouve sa légitimité en rassemblant les gens. Dès le départ, l’idée était simple. Faire parler les pierres. Ces pierres qui ont tout vu, tout entendu, et qui portent en elles les témoignages d’un âge d’or.
André Azoulay ne manque pas de rappeler l’histoire particulière d’Essaouira. Au XIXème siècle, la ville comptait vingt-deux mille habitants. Seize mille étaient juifs. Dans une terre d’Islam, c’est une exception. Et cela, dit-il, forge un ADN imbattable.
Il revendique cette pluralité comme une force. «Je suis juif. Je suis berbère. Je suis arabe. Je suis probablement un peu musulman, parce que nos familles ont vécu si près les unes des autres. Je suis africain. Je suis méditerranéen. Et cette richesse, je l’ai toujours considérée comme une chance», estime-t-il.
«Dans mes négociations, poursuit-il, chaque fois que je me présente, je dis ce que je suis. Alors, si le Maroc gagne, c’est que nous ne jouons pas à armes égales», confie-t-il.
De la foi intime à la Tamaghrabit universelle
Puis vient le souvenir le plus intime. Sa première communion. Son rabbin, voyant en lui un garçon qui ne rentrait pas dans le cadre strict de la tradition, lui lança une injonction simple: «Tu veux rester juif? Alors souviens-toi de ceci. Si la personne qui est en face de toi n’a pas la même dignité, la même justice, la même liberté que toi, et que tu ne fais rien, tu n’es plus juif.» André Azoulay s’arrête, laisse le silence retomber. Cette phrase, confie-t-il, ne l’a jamais quitté. Elle guide chacun de ses engagements.
Il rappelle aussi un geste fondateur. Le jour de l’inauguration de Bayt Dakira par le roi Mohammed VI, il fit poser côte à côte le Coran et la Torah. Les deux textes dialoguent en permanence. Ils ont fait ce que nous n’avons pas su faire. Et il ajoute que l’on retrouve très souvent, dans les deux livres, des similitudes sur l’essentiel. Un wake-up call, dit-il.
À Essaouira, ajoute-t-il, «nous n’avons pas deux identités. Nous avons la Souiritude. Nous avons la Tamaghrabit. Notre façon d’être marocains. Ici, la diversité n’est jamais une crise. Elle est un atout. Ailleurs, elle est synonyme de complexité, de défi, de confrontation, de déni. Ici, elle est richesse. Elle est le réacteur central de notre modernité sociale. C’est rare dans le monde. Car partout ailleurs, la diversité recule. Elle disparaît. Elle devient conflictuelle. Chez nous, elle est célébrée. C’est cela, notre Tamaghrabit».
André Azoulay se dit privilégié. Privilégié parce qu’il est riche de toutes ces identités. Privilégié aussi parce qu’il vit «dans un pays fort du leadership éclairé et visionnaire de Sa Majesté le Roi, un pays, mon pays dont j’ai fait miens avec lucidité et bonheur les choix fondamentaux pour redonner ses chances à l’esprit de la Paix, à la Culture de la Paix».








