Dans la culture populaire marocaine, et arabe en général, on a souvent entendu parler d'histoires d'amour dévastatrices entre djinns et humains, dont la fin a toujours été dramatique. Dans son édition de ce week-end, Al Akhbar est allé piocher dans ces histoires. Le journal a recueilli des témoignages de personnes qui prétendent avoir eu des relations sexuelles avec les djinns, et demandé des avis à des chioukhs et fqihs spécialisés dans la "roqya charîya" (traitement par la récitation du Coran). Un fqih pratiquant la "roqya", cité par le journal, affirme avoir traité plusieurs personnes "ayant déclaré avoir épousé un djinn à cause des symptômes qu'elles ressentent lorsqu'elles sont éveillées ou durant leur sommeil". Et d'ajouter qu'il "a pu entrer en contact avec ces créatures durant des séances d'exorcisme".
Dans la plupart des cas, le djinn déclare sa flamme et refuse de quitter l'élu de son coeur. Mais l'amour n'est pas seulement une histoire de sentiments. Il s'agit aussi de sexe car, selon plusieurs témoignages, le plaisir sexuel est au rendez-vous lors des rencontres de ces amoureux hors du commun. Hommes et femmes ayant "vécu l'expérience" parlent d'orgasme et de traces palpables d'ébats à leur réveil. Ce qui complique la vie des humains qui sont déjà en couple et qui se retrouvent incapables de se laisser aller aux jeux de l'amour avec leur partenaire attitré qui ne trouve plus aucune grâce à leurs yeux. Cette aversion se traduit parfois par une rupture fracassante, comme cela a été le cas pour cette Tangéroise qui a demandé le divorce pour vivre pleinement son histoire d'amour avec "Chamharouch" (roi des djinns). Devant le refus de son époux, elle s'est enfuie du domicile conjugal. De fil en aiguille, le mari s'est retrouvé accusé de son meurtre. Il n'a trouvé son salut que grâce à sa belle famille, qui l'a sauvé d'une lourde peine de prison. La famille a témoigné avoir retrouvé sa fille dans un état psychique lamentable et qu'elle est en train de chercher le meilleur moyen pour l'exorciser.
Un grand amalgame
Mais l'histoire la plus insolite dans le dossier d'Al Akhbar est celle d'une jeune épouse égyptienne qui avait déclaré à son mari qu'une créature bizarre venait lui faire l'amour chaque jour, pour expliquer son désintérêt pour toute relation intime avec lui. Le mari lui proposa de noter tout ce qui se passait avec le visiteur. Ce qu'elle fît sans hésitation. Au bout de quelques mois, la jeune femme accoucha d'une petite fille. Ulcéré par le récit de sa femme, le faux cocu refusa d'enregistrer le nouveau-né sur les registres de l'état civil sous prétexte que sa femme a eu des rapports sexuels avec un djinn. L'épouse a porté plainte contre son mari. S'en est suivie une grosse polémique qui a fini devant le mufti d'Egypte. Ce dernier a tranché en faveur de la femme estimant que le mari souffrait de troubles mentaux et qu'il ne pourrait y avoir de relations sexuelles entre humains et djinns. Un avis que partage Dr. Saoud Lafnissane, doyen de la faculté de la chariâa de l'université islamique de l'Imam Mohamed Bin Saoud. Il estime que ces histoires d'amour entre djinns et humains s'inspirent de la culture populaire et que des charlatans font croire aux personnes atteintes de maladies psychiques qu'elles sont possédées par les djinns.
Le monde des djinns, tel qu'on nous l'a présenté, est fascinant, mystérieux et impénétrable. Normal donc qu'il alimente les fantasmes. Et dans une société qui est dans la honte et le déni des maladies psychiques et mentales, on cherche toujours des interprétations métaphysiques pour expliquer des maux qui ont des noms et des traitements dans la littérature. D'ailleurs, les symptômes de l'hystérie et de la frustration sexuelle, à commencer par les rêves érotiques et les transes ont toujours été présentés comme étant les symptômes d'une possession démoniaque.




