Gratuité

Tahar Ben Jelloun.

ChroniqueLa gratuité est ce qui se fait sans retour, sans intérêt, sans calcul. Un geste aussi simple et beau que le vol d’une libellule un matin de printemps. C’est une intervention non préméditée pour venir en aide à une personne en difficulté sans rien attendre en échange. Pas même un merci.

Le 29/12/2025 à 11h01

Il serait intéressant de prendre le temps, en cette fin d’année, de passer en revue, non pas les réalisations, les compromis et les affaires juteuses, mais les choses qu’on a faites par esprit de gratuité, sans avoir de gain matériel. Ce geste procure un plaisir doux.

1- La gratuité est ce qui se fait sans retour, sans intérêt, sans calcul. Un geste aussi simple et beau que le vol d’une libellule un matin de printemps. C’est une intervention non préméditée pour venir en aide à une personne en difficulté sans rien attendre en échange. Pas même un merci.

2- La gratuité est un état s’esprit qui scandalise l’économie libérale, le commerce et le besoin de rendement.

C’est donner même si on sait que donner c’est recevoir. Donner sans en parler, sans obtenir quelque bénéfice secondaire. Donner à la recherche sur les maladies orphelines même si l’on n’est pas concerné.

3- La gratuité est une vision qui ne cadre pas avec le bruit et la fureur de ce monde devenu fou à cause de l’argent et de plus en plus objet à la spéculation. Le vénal prend souvent le dessus. Faut s’en méfier et surtout le chasser de ses habitudes.

4- La gratuité c’est le temps qui est notre ami et qui se vit au seul présent. Comme le soleil, la lumière et la douceur de l’air, la gratuité est ce qui rend la vie supportable.

5- La gratuité c’est le fait de marcher le long de la mer, sans but, sans projet. À la limite, on fait du bien à notre corps, à nos articulations et à notre muscle cardiaque.

6- La gratuité est une belle après-midi sous un arbre au mois de juin en Toscane ou à Taghazout. On lève les yeux pour voir le ciel et se contenter de se dire: «Je suis vivant et je suis baigné par cette lumière suprême».

«La gratuité est une forme de générosité qui ne s’annonce pas, qui ne se dit pas, qui ne se crie pas sur les toits. La vraie générosité est muette, discrète, et ne se revendique jamais.»

—  Tahar Ben Jelloun

7- La gratuité est une poignée de main échangée avec un inconnu qui vous a souri, vous a souhaité une belle journée puis s’en est allé, et de sa vie vous n’en saurez jamais rien.

8- La gratuité est une forme de paresse intelligente. On ne fait rien, et on se sent bien de n’être pas obligé de faire quoi que ce soit.

9- L’amitié, celle dont parle Montaigne, «la soudure fraternelle», est ce qui favorise le plus les gestes gratuits.

L’amour, n’est jamais gratuit, même l’amour filial. Aimer, c’est se donner en espérant un retour de tendresse. Là, toute gratuite devient suspecte.

10- La gratuité est une forme de générosité qui ne s’annonce pas, qui ne se dit pas, qui ne se crie pas sur les toits. La vraie générosité est muette, discrète, et ne se revendique jamais.

11- la beauté est gratuite.

On a tous éprouvé un jour ou l’autre ce que Stendhal appelait «le syndrome de Florence», plus connu sous le nom de «syndrome de Stendhal». Le dictionnaire nous l’explique: «Le syndrome de Stendhal est un trouble psychosomatique rare provoqué par une surcharge esthétique face à une œuvre d’art ou à une profusion de beauté, causant des symptômes physiques (vertiges, palpitations, tachycardie, suffocation) et psychiques (confusion, hallucinations, sentiment d’extase ou de malaise, perte de repères). Décrit par l’écrivain Stendhal lors de sa visite à Florence.»

On peut connaître ce «trouble» lors d’un coup de foudre que ce soit pour une personne ou pour une œuvre d’art particulièrement belle et dont on n’explique pas la beauté et le mystère. On est sidéré. Et cela implique une bonne disponibilité à la gratuité.

12- Enfin, la gratuité se passe d’explication ou de justification. C’est un silence après le bruit, un silence où la musique de Mozart ou de Bach sont encore en nous, nous bercent dans la splendeur des premières lumières du matin. On ferme les yeux, et on est visité par la grâce.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 29/12/2025 à 11h01