Génération Z au Maroc: entre impatience, contradictions et espoirs

Soumaya Naâmane Guessous.

Soumaya Naâmane Guessous.

ChroniqueLa génération Z, plongée dans l’univers numérique, bouscule le Maroc. Elle fascine autant qu’elle inquiète. Génération de l’instantanéité et de l’impatience, elle réclame droits et reconnaissance, mais sans assumer ses responsabilités de citoyens.

Le 03/10/2025 à 11h02

J’ai enseigné pendant 36 ans. J’ai vu défiler des générations d’étudiants, suivi leurs évolutions, leurs profils, leurs rêves. J’ai assisté à une dégradation progressive de certaines valeurs chez les plus jeunes: impatience à vouloir brûler les étapes, difficulté à accepter l’effort, dépendance accrue aux réseaux sociaux qui dictent leurs comportements.

Toujours critiques à l’égard du gouvernement, mais sans réelle culture politique, beaucoup refusent même d’exercer leur droit de vote, arguant qu’«il n’y a que des voleurs» et que «personne ne mérite d’être élu». Ce négativisme s’accompagne d’une passivité et d’un sens de la critique acerbe, souvent emprunté au langage des réseaux sociaux, sans même contrôler la véracité des informations partagées.

Autrefois, les jeunes contestataires avaient un encadrement politique, associatif. Ils se réunissaient en face-à-face, débattaient, s’organisaient autour de leaders capables de les former. Aujourd’hui, les réseaux sociaux poussent davantage à la désobéissance impulsive qu’à la réflexion citoyenne. Cette spontanéité, nourrie par la viralité numérique, engendre une jeunesse révoltée, mais incapable d’analyser le contexte politique et économique mondial.

Il serait injuste de nier les causes profondes de ce malaise. Cette génération souffre de multiples manquements: système scolaire fragilisé, insertion professionnelle difficile, perspectives bouchées, sans compter le poids de parents parfois à charge, sans retraite ni couverture maladie, malgré les efforts de l’État pour la généraliser. Ces difficultés nourrissent un sentiment d’exclusion et d’injustice.

«Leur rapport à l’autorité est problématique. Dans la famille, à l’école, ou au travail, ils perçoivent souvent toute règle comme un abus»

—  Soumaya Naâmane Guessous

Mais si les jeunes revendiquent avec force, ils s’investissent rarement pour améliorer leur situation. Dans les études, les enseignants témoignent d’un manque d’engagement. Au travail, les employeurs déplorent leur refus de s’impliquer totalement, leur exigence de tout obtenir rapidement: salaires élevés, confort matériel, reconnaissance immédiate. Beaucoup comparent leurs efforts à ceux des stars du Net ou du sport qui réussissent vite et en tirent la conclusion qu’ils n’ont pas à fournir les mêmes sacrifices que leurs aînés.

Leur rapport à l’autorité est problématique. Dans la famille, à l’école, ou au travail, ils perçoivent souvent toute règle comme un abus.

Ils aspirent à consommer massivement. Mais leurs revenus ne suivent pas leurs désirs. Les frustrations s’accumulent et grossissent les sentiments de marginalisation et d’injustice.

Une autre caractéristique de cette génération est sa relation au temps libre. Qu’ils soient étudiants, employés ou chômeurs, ils font des loisirs leur priorité. Mais ces loisirs sains, sports, culture, voyages, restent financièrement hors de leur portée. Résultat, beaucoup de temps libre mal employé, une oisiveté qui devient «la mère de tous les maux». L’absence de structures accessibles pour occuper sainement cette énergie nourrit le repli sur soi, la dépendance aux écrans, ou des dérives plus dangereuses.

Bien sûr, leurs revendications sont légitimes: l’éducation et la santé doivent progresser. Mais sans éducation politique et citoyenne, le risque de dérapage est réel. Surtout lorsqu’«une main invisible» attise la révolte.

Beaucoup attendent tout de l’État, se plaçant en spectateurs plutôt qu’en acteurs du changement. Cette posture négative nourrit une méfiance dangereuse envers toute institution.

La violence, lorsqu’elle éclate, ne reflète pas l’ensemble de cette génération, mais elle montre à quel point une contestation mal canalisée peut se transformer en désordre. L’État a la responsabilité d’écouter ces jeunes, de répondre à leurs besoins légitimes. Mais eux doivent comprendre que le changement durable exige implication, effort et patience.

Mais malgré toutes ces contradictions, il ne faudrait pas réduire la Génération Z à ses travers. Son énergie, sa créativité, sa soif d’expression représentent une chance pour le pays. Certes, elle n’a pas connu l’éducation politique des générations passées, mais elle dispose d’outils de communication inédits, d’une ouverture sur le monde sans précédent, et d’une capacité de mobilisation qui peut transformer la société.

À condition de lui offrir des espaces d’encadrement et d’écoute. Les écoles, les universités, les enseignants, les associations, les politiques, les réseaux sociaux, les familles doivent s’impliquer pour redonner un sens à l’engagement civique.

Les jeunes doivent apprendre que manifester et revendiquer est un droit, mais que participer, voter, s’impliquer dans des projets collectifs est un devoir.

Le vrai défi n’est pas seulement de calmer une génération révoltée, mais de l’amener à devenir actrice de son propre avenir. En refusant le vote, en rejetant toute institution, les jeunes s’enferment dans un cercle vicieux où leur voix perd de son poids. En revanche, en s’engageant dans les structures démocratiques, même imparfaites, ils peuvent infléchir le cours des choses.

Cette génération, avec ses excès et ses impatiences, est aussi le miroir d’un Maroc en mutation. Ses colères rappellent que beaucoup reste à faire dans l’éducation, la santé, l’emploi, la justice sociale. Mais sa mobilisation, même désordonnée, est une nouvelle forme de société civile. Elle s’impose comme un acteur incontournable de la scène nationale.

Il appartient désormais à tous de transformer cette révolte diffuse en une énergie constructive. Alors peut-être que cette jeunesse deviendra la force vive, capable de porter le Maroc vers un avenir plus juste et plus solidaire.

Par Soumaya Naamane Guessous
Le 03/10/2025 à 11h02