On se calme. Il n’est nul besoin, pour le moment, d’évacuer notre capitale économique et ses millions d’habitants – ce serait dommage, d’ailleurs, puisqu’on ne cesse de l’embellir. Si j’ai choisi ce titre saisissant, c’est pour avoir votre attention. Et maintenant que je l’ai, continuons.
La ville que les autorités envisagent sérieusement d’évacuer, c’est Téhéran. Oui, Téhéran, la capitale de l’Iran millénaire.
Au lycée, notre professeur de sciences naturelles – où êtes-vous, M. Castellani?– nous disait, le doigt levé, l’œil sévère: «L’intelligence, jeunes gens, c’est savoir relier entre elles des informations a priori sans rapport». Sommes-nous intelligents? Le flot d’informations qui nous submerge nous empêche parfois d’en relier quelques-unes pour en tirer une leçon. En voici trois, pêchées la semaine dernière dans des publications diverses: Téhéran, donc; l’extinction du courlis à bec grêle; le ‘Kremlin de Bouskoura’.
1. Il y a quelques semaines, le président iranien Massoud Pezechkian a déclaré que les quatorze millions (!) d’habitants de Téhéran pourraient être déplacés dans un avenir proche. L’Iran connaît actuellement sa sixième année consécutive de sécheresse. On n’y parle plus de stress hydrique, mais de catastrophe hydrique. Pour qui connaît les Iraniens, leur sens de l’Histoire, leur fierté, ça doit être un crève-cœur de se rendre compte qu’ils en sont arrivés là. Mais justement, comment en sont-ils arrivés là? Je me souviens que l’ayatollah Khomeini, fraîchement installé au pouvoir en l’an 1979, encouragea les Iraniennes à avoir le plus d’enfants possible. La population doubla en quelques décennies – et n’a plus d’eau aujourd’hui. Où l’on voit que la bêtise théocratique, la certitude niaise d’avoir un fil direct avec le Ciel, produit des désastres.
2. L’élégant courlis à bec grêle– Numenius tenuirostris de son nom savant– a été déclaré officiellement ‘éteint’ (horrible adjectif…) le 10 octobre dernier par l’Union internationale pour la conservation de la nature. Le dernier spécimen avait été observé en 1995 au Maroc, dans la lagune de Merja Zerga, alors que cet oiseau migrateur passait l’hiver dans les zones humides côtières du Maghreb et nichait dans les steppes de Russie depuis des temps immémoriaux. Inutile de chercher loin le responsable de l’extinction de Numenius tenuirostris: c’est l’homme. Homo sapiens «croît et se multiplie et remplit la terre» – Genèse 9.7– et tant pis pour le reste du règne animal. Aujourd’hui, deux tiers des espèces d’oiseaux sont en déclin…
«Le ministère de l’Environnement (quel que soit le nom qu’on lui donne) devrait devenir aussi puissant que l’Intérieur. Ainsi, il pourrait vraiment agir, vite et fort.»
— Fouad Laroui
3. Pour ce qui est du ‘Kremlin de Bouskoura’, il a été érigé sur un terrain à vocation agricole. Le propriétaire avait été autorisé à développer des activités équestres et un simple hébergement rural; il en a fait un hôtel et une gigantesque salle des fêtes. (Et personne n’a rien vu? Déposez trois briques et un sac de ciment devant votre modeste maison et vous verrez le m’qaddem rappliquer en courant pour voir de quoi il retourne…) Donc: hôtel mastoc digne de Ceaucescu, mauvais goût inclus, et gigantesque salle des fêtes n’attendant que ses chikhates replètes. Et tant pis pour la nature, la flore, la faune.
Le point commun entre ces trois informations? Homo sapiens, qui n’a rien de sapiens (sage) mais fait souvent preuve d’une redoutable stupidité avec cette obsession qu’il a de détruire son environnement naturel.
Que faire, dès lors? Il me semble qu’à notre niveau les sapiens dignes de ce nom devraient unir leurs efforts en s’appuyant sur des faits scientifiques (et non des élucubrations métaphysiques) pour développer une politique environnementale cohérente et complète (eau, air, sols, énergie, population…), et surtout: en s’en donnant les moyens.
Disons-le plus clairement: le ministère de l’Environnement (quel que soit le nom qu’on lui donne) devrait devenir aussi puissant que l’Intérieur. Ainsi, il pourrait vraiment agir, vite et fort. Nous serions alors sûrs de ne jamais avoir à entendre un jour cette phrase apocalyptique digne de Caton l’Ancien: ‘Il faut évacuer Casablanca!’





