Facebook provoque un grand débat juridique en France

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Une nouvelle "affaire Facebook" revient agiter les tribunaux en France. Un conseiller du Front national a été condamné à une amende de 3.000 euros par la Cour d’appel de Nîmes pour avoir laissé passer, en octobre 2011, des propos racistes publiés par des internautes sur son mur Facebook.

Le 19/10/2013 à 09h39

Le 10 avril, la Cour de cassation avait tranché à propos des profils Facebook et des plaintes qui pouvaient être déposées suite à des propos tenus sur des comptes privés : "Facebook n’est pas un lieu public", avait souligné la Cour. Aussi, l’auteur d’injures proférées sur un compte Facebook ne peut être justiciable, puisque les choses, en l’occurrence, se passent dans un cadre privé et non public. Les propos injurieux ne sont accessibles qu’aux "amis" et ne peuvent faire l’objet d’une plainte. Tels sont les arguments avancés par la Cour pour statuer sur la question. Aussi, la plainte d’une patronne contre son employée qui avait plaidé, sur sa page Facebook, pour "l'extermination des directrices comme la (sienne)" et des "patronnes (...) qui nous pourrissent la vie", a été jugée irrecevable. Ce qui n’a pas été pour plaire à Anthony Bem, son avocat, qui regrette "une décision qui ne s'applique pas seulement à la salariée attaquée par son employeuse, mais à tous. Ce que la Cour a décidé fera jurisprudence".

Une affaire politiquePlusieurs mois après, une nouvelle "affaire Facebook " revient agiter les tribunaux qui, cette fois, vont trancher en faveur des plaignants. Vendredi 18 octobre, Julien Sanchez, conseiller du Front national pour la région Langeudoc-Roussillon, a été condamné à une amende de 3.000 euros par la Cour d’appel de Nîmes pour avoir laissé passer, en octobre 2011, des propos racistes publiés par des internautes sur son mur Facebook. Pour Julien Sanchez, qui ne semble pas se remettre pour autant en question et s’est déclaré décidé à faire appel, il ne s’agit ni plus ni moins que d’"une décision politique". Toujours est-il qu’il s’agit là de la première condamnation du genre. C’est en effet la première fois qu’un utilisateur de Facebook se voit condamné pour des propos tenus par autrui sur sa page. Et cet utilisateur est, de surcroît, une personnalité du monde politique accusée de "provocation à la discrimination et à la haine raciale et religieuse".La plainte n’a d’ailleurs pas été non plus déposée par un citoyen lambda, mais par Leïla Tella, épouse député européen UMP et premier adjoint au maire de Nîmes, Franck Proust, qui avait été cité dans les propos en question publiés sur le mur du conseiller du FN. Des propos où il était qualifié d’"élu au développement économique hallal, rue de la République islamique" et accusé d’avoir "transformé Nîmes en Alger". "Dans chaque rue des kebabs et des mosquées. Les dealers et les prostituées règnent en maîtres. Pas étonnant qu'il ait choisi Bruxelles, capitale du nouvel ordre mondial et de la charia. Merci Franck et kiss à Leïla". Les auteurs de ces publications, Stéphane Baudet et Laurent Roux ont d’ailleurs de même été condamnés à une amende de 4.000 euros, dont 3.000 avec sursis.

Une polémique juridique

Une affaire politique, certes, qui aura fait beaucoup de bruit, mais qui aura aussi fait débat parmi les juristes. L’affaire a en effet créé la polémique, mais le tribunal n’a pas cédé : non, Julien Sanchez n’a pas tenu personnellement les propos incriminés en l’occurrence; oui, il a "2.500 amis" dont il dit ne pas pouvoir contrôler toutes les interventions sur son mur. Mais il est "directeur de publication" de sa page Facebook : en vertu de quoi "la cour s’est débarrassée de la LCEN (loi pour la confiance dans l’économie numérique) pour se référer à la loi sur la liberté de la presse", déclare Anthony Bem avant d’ajouter : "Appliquer une loi de 1881 à Facebook, intellectuellement, c’est magnifique". "Julien Sanchez aurait dû bénéficier du régime de responsabilité allégée prévue par la loi LCEN de 2004 et le statut d’hébergeur", a-t-il conclu. Après l’effrayante intervention sur France 2, le 17 octobre, de Anne-Sophie Lecrere, candidate FN aux municipales, suspendue depuis son allocution devant les caméras, la justice n’était d’ailleurs peut-être pas disposée à faire montre de souplesse.

Toujours est-il que ce genre de polémique a l’avantage de remettre en perspective le principe pour le moins galvaudé de "liberté d’expression". Un principe soumis à des principes, ce que d’aucuns ont tendance à oublier. Une liberté soumise à une éthique et au respect d’autrui.

Par Bouthaina Azami
Le 19/10/2013 à 09h39