C’est l’une des mesures phares du Projet de loi de finances (PLF) 2024. À partir de l’année prochaine, l’État souhaite supprimer la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) de 7% sur les médicaments, les matières premières ainsi que les produits entrant intégralement ou partiellement dans la fabrication des médicaments, y compris leurs emballages non récupérables. Une exonération qui se greffera à celles déjà en vigueur depuis de nombreuses années.
La TVA a déjà été supprimée sur les médicaments dont le prix fabricant hors-taxe dépasse les 588 dirhams, notamment les anticancéreux, les antiviraux des hépatites B et C, les médicaments destinés au traitement du diabète, de l’asthme, des maladies cardiovasculaires, du SIDAet de la sclérose en plaques. Les vaccins sont également exonérés de TVA depuis 2014, et les médicaments de la fertilité ainsi que les antibiotiques injectables utilisés dans le traitement de la méningite depuis 2018.
Si bon nombre de consommateurs se réjouissent évidemment de cette annonce, tel n’est pas le cas des industriels marocains du secteur pharmaceutique. «Si elle est appliquée sans aménagements, cette mesure va compresser davantage les marges des laboratoires, qui pourraient alors réduire, voire freiner leurs investissements. Ceci risque de remettre en cause la souveraineté du Maroc en matière d’industrie pharmaceutique à laquelle a appelé Sa Majesté le Roi à plusieurs reprises», alerte, dans un entretien avec Le360, Layla Laassel Sentissi, directrice exécutive de la Fédération marocaine de l’industrie et de l’innovation pharmaceutiques (FMIIP).
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À l’en croire, «plus du tiers des médicaments consommés au Maroc sont déjà exonérés de la TVA, et la majorité des industriels attendent le remboursement d’au moins 600 millions de dirhams de crédit de TVA».
Exonérer les achats de fournitures et de prestations de l’activité industrielle
Devant un tel cas de figure, notre interlocutrice n’exclut pas une hausse des importations, sachant que le Royaume importe déjà 48% de ses besoins en médicaments. «Les industriels ont déjà montré une grande résilience et un sens de patriotisme. Mais nous craignons que cette mesure entraîne une augmentation des importations, notamment à cause de la probable baisse des investissements locaux», alerte-t-elle.
D’après Layla Laassel Sentissi, afin de ne pas léser les industriels, la suppression de la TVA sur les médicaments devrait s’accompagner par une exonération similaire de l’ensemble des achats de fournitures et de prestations de l’activité industrielle des médicaments. «Outre les intrants chimiques et l’emballage, les industriels achètent notamment des prestations de service, la maintenance, l’énergie, la promotion médicale quand elle est sous-traitée, la recherche et développement, et les licences pour ceux qui fabriquent sous licence, ainsi que le matériel informatique, le tout assujetti à une TVA à 20%», explique-t-elle.
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D’importantes charges confirmées par Abdelmajid Belaïche, analyste des marchés pharmaceutiques et membre de la Société marocaine de l’économie des produits de santé. «Les laboratoires ont une obligation réglementaire de former régulièrement leur personnel, notamment des formations continues dans le cadre de l’amélioration continue des process, et qui sont taxées à 20%», nous affirme-t-il.
Selon ce dernier, le montant global de la TVA versée pour tous les médicaments taxés à 7% n’est pas très significatif, puisque «cela représentait 587,5 millions de dirhams en 2022, sur un chiffre d’affaires de 12,9 milliards de dirhams du marché des médicaments (hors compléments alimentaires et cosmétiques), soit 4,5%». Layla Laassel Sentissi abonde dans le même, précisant que la grande majorité des médicaments actuellement assujettis à une taxe de 7% ne coûtent pas cher, avec une moyenne de prix avoisinant les 30 dirhams.
Pour Abdelmajid Belaïche, en plus de nuire à l’industrie locale, cette mesure prévue dans le PLF 2024 «risque de créer un goulot d’étranglement au niveau des distributeurs pharmaceutiques, qui réalisent des chiffres d’affaires modestes malgré de lourds investissements, notamment dans le transport».
Mettre en place un statut de «médicament-conseil»
Layla Sentissi soutient également que les recettes fiscales de l’État pourraient en pâtir. «Actuellement, plus de 80% de recettes fiscales provenant du secteur sont payées par les industriels qui fabriquent localement. Une baisse de leurs marges entraînera logiquement une baisse de leurs bénéfices et donc de ces recettes fiscales», révèle-t-elle.
Pour la directrice exécutive de la FMIIP, la mise en place d’un statut de «médicament-conseil» ou «Over The Counter» (OTC) au Maroc, à l’instar de beaucoup de pays du monde, constitue une belle alternative pour préserver l’industrie locale. Il s’agit de produits-conseils vendus sans ordonnance en pharmacie et non remboursables par les caisses d’assurance maladie.
«Dès 2014, nous avions soumis au ministre de la Santé de l’époque un projet pour définir un statut de « médicament-conseil ». Ceci permettrait de taxer de 20% ces médicaments qui ne sont pas prescrits et qui sont souvent conseillés par le pharmacien d’officine ou pris en automédication. Les industriels pourraient ainsi récupérer la TVA relative à toute leur activité industrielle», suggère-t-elle.