Valérie B. est sous le choc. De sa voix tremblante, elle nous lance: «Oui, c’est bien moi l’épouse de Nabil R. ! On vient de me prévenir, ce matin, que mon mari a été arrêté au Maroc alors qu’il tentait de rejoindre l’Etat islamique en compagnie de mes deux bébés», confie-t-elle à Le360, avant de pousser un hoquet strident qui laisse imaginer qu’elle se retient pour ne pas éclater en sanglots. Et il y a bien de quoi…
Une arrestation aux frontières
Mercredi 15 octobre, en milieu de l’après-midi, au poste frontière de l’aéroport Mohammed V. Nabil R., 31 ans, se présente devant le box de police accompagné d’une jeune femme de 19 ans et de deux enfants en bas âge. Il tend à l’officier les passeports et les billets d’avion sur le vol 000437 d’Air Arabia à destination de l’aéroport Sabiha Istanbul en Turquie. Le policier n’a même pas encore le temps d’introduire son nom dans le système de surveillance des frontières que des gradés du contre terrorisme font irruption. «Monsieur, veuillez nous suivre s’il vous plaît !», lancent-t-il à Nabil R. avant de récupérer ses documents de voyage. L’homme s’exécute sans opposer la moindre résistance, la mine décomposée. Il sait qu’il peut faire une croix sur son plan sordide.Un communiqué du ministère de l’Intérieur, tombé dans la nuit de mercredi à jeudi, donne des éclaircissements sur cette affaire. «Un Marocain résidant en France a été interpellé, au moment où il s'apprêtait à embarquer vers la Turquie pour rejoindre le groupe terroriste Daach (…). Il était accompagné de ses deux filles, de nationalité française, âgées respectivement de 2 et 4 ans et d'une citoyenne marocaine, avec laquelle il a contracté un mariage coutumier (Orfi), alors que son épouse de nationalité française serait restée en France», explique la missive du département de Mohamed Hassad, relayée par la MAP. La nuit même, l’affaire va secouer l’opinion publique tant au Maroc qu’en France. Car si l’arrestation de jihadistes en herbe qui tentent de rejoindre le chimérique Etat islamique tend à devenir un fait banal, c’est la première fois qu’un père essaie d’embarquer ses bébés dans une (més)aventure de la sorte, alors que leur mère n’est au courant de rien…
La détresse d’une maman
«Je venais à peine d’accoucher de notre troisième enfant, nous confie Valérie B. J’étais encore à l’hôpital quand Nabil est venu me prévenir que sa mère était gravement malade et qu’il prenait les filles et partait au Maroc pour être à son chevet». Cela s’est passé le 3 octobre dernier. Dès que Nabil R. foule le sol du royaume, l’alerte est donnée. C’est que son nom est apparu dans les interrogatoires de la cellule terroriste démantelée le 14 août dernier à Fnideq dans le nord du Maroc. Cette cellule se chargeait de recruter et d'envoyer des candidats au Jihad en Syrie et en Irak. Le contre terrorisme marocain décide de ne pas l’interpeller immédiatement, mais le garde sous étroite surveillance… question de suivre sa trace et détecter ses contacts au royaume. Ce n’est qu’une fois qu’il a essayé de quitter le territoire en direction de la Turquie (hub de prédilection pour les jihadistes qui cherchent à rejoindre la Syrie ou l’Irak) que les forces de l’ordre décident de l’intercepter. En plus de ces deux filles, Salma et Leila, il est accompagné de la jeune Oumama J. (née en 1995 à Salé) qui avoue que le mis en cause l’a épousé Orfi. Comprenez, le mariage coutumier.
Quand on lui pose la question au sujet de la compagne de son époux, Valérie B. sort de ses gonds. «Quoi? Il avait une autre épouse? C’est quoi un mariage coutumier? Pourquoi personne ne m’a jamais rien dit à ce sujet? Oh mon Dieu, c’est quoi cette histoire!», nous lance-t-elle au bord de la crise d’hystérie…
Un chauffeur de camion devenu jihadiste
Une fois calmée, Valérie B. accepte de nous raconter son histoire avec Nabil R. «Nous sommes ensemble depuis 5 ans. Nabil a quitté le Maroc vers l’Espagne avant de s’installer à Tarbes (région de Toulouse) où je l’ai connu et où nous sommes installés». Le couple a mené une vie tranquille jusqu’à l’année dernière où Valérie a commencé à remarquer un changement dans le comportement de son mari, chauffeur de poids lourd de son état. «C’était lors de notre voyage au Maroc. C’était la première fois que je mettais les pieds dans son pays natal. Pendant ce séjour chez ses parents, il s’est complètement métamorphosé. Il m’a violenté car je refusais de porter le voile», nous explique-t-elle. De retour dans leur petite bourgade de Tarbes, les choses vont empirer. Nabil R. fréquente de plus en plus la mosquée de la ville. Il y fait des prêches incendiaires à la limite de l’apologie du terrorisme. Les services de renseignement français s’intéressent à son cas et le placent même sous contrôle judiciaire. Pourtant, les autorités sécuritaires en France le laissent quitter paisiblement le territoire, avec ses enfants. Ce qui est très surprenant, compte tenu de la teneur incendiaire des prêches de l’intéressé. Cette liberté de mouvement n’est pas sans rappeler ce qui c’était passé avec la sœur de Mohamed Merah, connu sous le sobriquet du terroriste en scooter qui sévissait à Toulouse…
En sentant l’étau se resserrer autour de lui, Nabil R. prend la décision de rejoindre lui-même les combattants de Daach, alors que jusque-là, il leur servait de recruteur. Mais l’homme décide d’embarquer ses enfants dans ce voyage vers l’enfer. Une décision qui surprend par son caractère cruel et en dit long sur la détermination des jihadistes qui prennent désormais des allers simples vers l’Irak et la Syrie. Mieux : ils se déplacent dans ces territoires avec des plans à long terme, en vue de s’y établir en famille.Le programme de Nabil R. a été contrarié par nos services de renseignements. Depuis hier soir, il est placé sous écrou avec sa compagne, alors que les deux enfants ont été remis à leurs grands parents installés à Tnin Chtouka. Valérie B. qui a hâte de les retrouver, est reconnaissante aux services de sécurité marocains qui ont mis en échec les desseins de ce père indigne.