Imaginons que le Parlement panafricain présente une résolution sur la liberté de la presse et sur les droits de l’homme en Europe!
Imaginons que nous endossions l’habit de «l’homme blanc», en mettant sous le tapis les dérives liberticides de notre continent pour inverser les rôles –une fois n’est pas coutume!– en un zoom plein Nord:
- Tabassage de manifestants pacifiques, le 19 janvier 2023 dans les rues de Paris, contre la réforme des retraites et violence policière gratuite, qui a conduit à l’émasculation d’un photographe franco-espagnol de 26 ans, après avoir été matraqué, directement dans les parties génitales, pendant qu’il se trouvait au sol.
- Mort suspecte dans un centre de détention de la police de la capitale de l’Europe, poussant à s’interroger avec le journal belge Le Soir: «Trois morts en deux ans: que se passe-t-il dans le commissariat de la rue Royale à Bruxelles?»
- Déjeuner «Off» entre le président de la République française Emmanuel Macron et dix éditorialistes parisiens, convoqués pour défendre sa réforme des retraites et relayer ses éléments de langage, interpellant, de fait, sur l’indépendance d’une certaine presse au service de la propagande du pouvoir.
- Censure du média vidéo Rumble, menace de couper les vivres à France-Soir, gel des comptes bancaires de RT France… «Totalitarisme sans visage», commentent certains; «criminalisation de la pensée et des opinions», renchérissent d’autres.
- Interdiction de diffusion dans l’UE des chaînes russes Sputnik et Russia Today, ce qui, avertit la Fédération européenne des journalistes, «crée un dangereux précédent qui représente une menace pour la liberté de la presse»…
Nous qui croyions ce genre de méthodes propres aux Sudistes tiers-mondistes que nous sommes, nous voilà donc tous logés à la même enseigne!
Mais alors, que justifient cette arrogance et cette condescendance dont nous sommes l’objet dans les résolutions et dans les rapports, comme si leurs émetteurs étaient, d’un, nos maîtres, de deux, objectivement neutres, et de trois, blancs comme neiges?
Qu’est-ce qui autorise cette insupportable ingérence du Parlement européen dans les affaires intérieures et dans les décisions de justice d’un Etat souverain, placé en dehors du territoire de l’Union européenne?
C’est d’autant plus frappant que la stigmatisation est à géométrie variable et le silence complice devant des violations flagrantes telle -pour ne parler que d’elle!- la dissolution de l’unique association des droits de l’homme en Algérie, sans que cela ne remue la fibre droit-de-l’hommiste de ces mêmes eurodéputés, occupés à exécuter leur mission d’acharnement contre le Maroc.
Il faut être d’une très grande naïveté pour ne pas voir dans l’instrumentalisation téléguidée de certaines campagnes, couvertes du masque de la liberté, l’exécution d’agendas politiques, le flirt avec des sympathies idéologiques, l’assouvissement de convoitises économiques…
Qu’est-ce qu’on n’est pas prêt à faire pour quelques barils de plus ou pour un contrat de vente d’armes!
Jusqu’où peut-on aller dans les tentatives de blocage de toute avancée émancipatrice, de tout rayonnement économique dans le continent, dans le but de récupérer des parts de marché perdues -à défaut de sympathies!- et de perpétuer un hégémonisme paternaliste obsolète, avec ses accords asymétriques, centrés davantage sur l’exploitation des ressources du sous-sol que le développement véritable et, encore moins, d’affranchissement d’une certaine tutelle.
«Liberté, que de crimes on commet en ton nom!», aurait crié sur l’échafaud Madame Roland, en 1793, dans une France sous le régime de la Terreur.
Que de justifications morales et de paradoxes depuis même l’humanisme de la Renaissance!
C’est bien au nom de la diffusion des bonnes valeurs que les Européens, conquérants du Nouveau Monde, ont décimé ou parqué dans des réserves les autochtones, tout en développant à une échelle massive, jamais égalée dans l’histoire, la traite négrière.
Pour concilier les bons principes chrétiens qui considèrent tous les hommes comme égaux devant Dieu, il suffisait pour le colonisateur d’endosser, en toute humilité, l’habit christique et de s’identifier, rien de moins, qu’à Jésus portant sa Croix.
Progressivement, se mettait en place un long processus mental et social de déshumanisation des hommes de «ces climats», rangés parmi «la plus dégradée des races humaines dont les formes s’approchent le plus de la brute», selon les termes de l’anatomiste français des XVIIIe et XIXe siècles, Georges Cuvier, dans la droite ligne de Buffon, qui évoque «ces races» en tant que produit d’une dégénérescence, tandis que l’homme blanc incarnait la nature humaine par excellence.
Ainsi, on pouvait participer à l’esprit des Lumières, disserter philosophiquement sur la liberté universelle et cohabiter allègrement avec le «Bois d’ébène», le «Code noir», le mythe du bon sauvage, transformé en bien meuble.
On pouvait lutter contre l’arbitraire du pouvoir, tout en lui fournissant une armature conceptuelle et des justifications cyniques et amères, voire en fructifiant ses propres intérêts financiers dans des ports négriers.
Puis, vint le temps de la «mission civilisatrice», ce «fardeau de l’homme blanc» cher à Rudyard Kipling, diffusant les fruits de la culture occidentale et de ses progrès scientifiques et techniques au reste du monde, peuplé de Barbares, de cannibales, de sauvages primitifs «mi enfants, mi démons», de païens infidèles, de fanatiques indigènes!
Florilège:
-«Si nous avons le droit d’aller chez ces barbares, c’est parce que nous avons le devoir de les civiliser», disait Jules Ferry dans son Discours à la jeunesse en 1884.
-«Autant les conquêtes entre races égales doivent être blâmées, autant la régénération des races inférieures par les races supérieures est dans l’ordre providentiel de l’humanité», écrivait pour sa part, en 1871, Ernest Renan.
-«La mission civilisatrice qui est aujourd’hui le prétexte de l’intervention (au Maroc) sera demain un devoir pour la démocratie sociale», selon les termes datant de 1908 du député socialiste Eugène Fournière.
Autres temps, autre lexique.
Et la notion moderne de droit «d’ingérence humanitaire» fut inventée!
Elle est portée et défendue aux Nations unies par la France, comme s’en flattait le french doctor, Bernard Kouchner, pour être reprise à bon compte, par ailleurs, afin de servir des ambitions géopolitiques et fournir de mobile à des guerres effroyables.
Bref, hier comme aujourd’hui, ce qui ressort de manière évidente, c’est la mobilisation d’arguments pseudo-philanthropiques pour exercer des pressions, légitimer les interventions, avec toute leur violence et leur arbitraire; c’est l’idée de supériorité de «l’homme blanc» chargé d’apporter la bonne nouvelle en distribuant de bons et de mauvais points.
La différence de taille entre aujourd’hui et naguère, c’est que les empires d’antan relèvent du passé et se débattent dans leurs propres galères, alors que les pays du Sud, sans doute loin d’être irréprochables, n’acceptent plus une autre approche que celle des intérêts communs, du respect mutuel et du dialogue véritable.