Le juge d’instruction de la première Chambre chargée des crimes financiers auprès de la Cour d’appel de Fès a ordonné, vendredi dernier, le placement en détention préventive de trois personnes, deux anciens directeurs et un entrepreneur, à la prison locale de Bourkaiz (province de Moulay Yacoub).
Quatre autres mis en cause ont été remis en liberté mais restent poursuivis dans le cadre d’une vaste enquête sur de graves irrégularités financières et administratives ayant entaché la gestion de la société de développement local Marafiq Berkane, indique le quotidien Al Akhbar, dans son édition de ce lundi 29 septembre.
Selon l’ordonnance du magistrat instructeur, les trois principaux accusés font face à de lourdes charges: détournement et dilapidation de fonds publics, falsification de documents officiels et usage de faux.
Ces poursuites découlent d’une plainte déposée par la société elle-même auprès du procureur général du Roi, dénonçant la gestion opaque de deux de ses anciens directeurs, peut-on lire. Le premier, Rachid El Merabet, nommé directeur général en 2020, aurait quitté son poste en octobre 2022 sans remettre les documents comptables, informatiques ni les équipements électroniques de l’entreprise. Le second, Kasri Bouyaad, qui a exercé plusieurs responsabilités au sein de la société avant d’en assurer la direction générale par intérim, a présenté sa démission en 2023 dans des conditions jugées irrégulières, sans restituer les fonds ni les pièces administratives détenues, écrit Al Akhbar.
Un audit indépendant, commandité par la société, a mis en lumière des irrégularités financières majeures. Au 31 juillet 2022, le rapport fait état d’un déficit en capital avoisinant 60 millions de dirhams, ainsi que de pertes cumulées de près de 110 millions de dirhams. Le document pointe directement la responsabilité des deux directeurs mis en cause, ainsi que celle d’un entrepreneur bénéficiaire de marchés jugés irréguliers.
Parmi les dossiers jugés suspects, figure d’abord le projet de construction d’une maison des jeunes, doté d’un budget de 7 millions de dirhams, ainsi que celui de la réhabilitation de l’ancienne décharge de Zallaka, estimé à 13 millions de dirhams. Dans les deux cas, les montants auraient été décaissés sans qu’aucune pièce justificative ou rapport d’exécution ne soit produit, ajoute le quotidien.
Le rapport d’audit évoque également des dépenses extravagantes et des pratiques opaques. Il cite par exemple l’acquisition d’actifs fictifs et de mobilier de bureau sur la base de factures douteuses, mais aussi des dépenses disproportionnées liées à la location et à l’achat de véhicules, qui ont représenté plus de 3,8 millions de dirhams en deux ans.
Parmi les anomalies relevées, une facture de 2.400 dirhams a été réglée pour la location d’une voiture, durant seulement trois heures. S’ajoutent à cela des frais d’hôtellerie estimés à 125.000 dirhams, engagés pour 19 personnes étrangères à la société, alors même que le directeur bénéficiait déjà d’une indemnité logement prévue par son contrat. Le rapport mentionne également l’octroi de marchés à une société de restauration dirigée par la sœur de l’un des accusés, pour un montant de 112.600 dirhams.
Par ailleurs, quatre triporteurs d’une valeur totale de 26.000 dirhams ont disparu, tandis que 21 salariés non identifiés auraient perçu des primes exceptionnelles s’élevant à 12,5 millions de dirhams en 2021, sous les intitulés «treizième» et «quatorzième mois». Ces gratifications ont été distribuées à un moment où l’entreprise affichait un déficit net de 5 millions de dirhams. Enfin, des salaires attribués à certains employés dépassaient de trois à quatre fois les niveaux habituellement pratiqués sur le marché, relève encore Al Akhbar.
Ces révélations jettent une lumière crue sur les dysfonctionnements qui peuvent miner la gestion des sociétés de développement local (SDL), créées pour assurer la gestion déléguée des services publics par les collectivités territoriales.
L’affaire de Marafiq Berkane illustre les risques de dérives financières et de gouvernance lorsque les mécanismes de contrôle et d’audit font défaut. Le dossier, désormais entre les mains de la justice, pourrait ouvrir la voie à de nouvelles investigations sur d’éventuels circuits de corruption et de clientélisme impliquant d’autres acteurs.
L’audience de fond devrait permettre de déterminer les responsabilités individuelles et de mesurer l’ampleur des préjudices subis par la société et, in fine, par les finances publiques locales.








