Nous sommes en fin d’après-midi, hier, jeudi 16 avril, boulevard Modibo Keita à Casablanca.
La clinique de Vinci connaît une activité inédite et tout le personnel (médecins, infirmiers, équipe administrative) travaille sans relâche, depuis que cette établissement de santé privé a décidé de se mettre au service des autorités publiques pour participer à l’effort collectif de lutte contre la pandémie du nouveau coronavirus. Cette clinique a répondu spontanément à l’appel des autorités de la wilaya de Casablanca-Settat, qui a demandé à des établissements privés de prendre en charge des patients contaminés par le Covid-19.
Il faut rappeler que la santé publique a fait le constat de ses capacités limitées, dans les hôpitaux provinciaux et le CHU Ibn Rochd, à répondre à une nouvelle arrivée de patients contaminés par le nouveau coronavirus. Ces capacités d'accueil sont d’autant plus limitées que ces structures hospitalières doivent continuer à soigner des malades souffrant d’autres pathologies. Or, Casablanca manque cruellement de personnel soignant dans la santé publique.
Donc, pour renforcer la capacité d’accueil du dispositif sanitaire dédié au Covid-19, il a été fait appel aux cliniques privées. Nombre d’entre elles, à l’instar de la clinique Vinci, ou celle d'Anoual, ont répondu spontanément à cet appel et accueillent, soignent et sauvent les vies des malades testés positifs au Covid-19. Ces cliniques citoyennes prennent ainsi en charge gratuitement les malades contaminés par le virus.
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Et voilà qu'au milieu du branle-bas de combat quotidien de la clinique Vinci débarquent sans crier gare cinq individus, des sortes d’inspecteurs Colombo amateurs, forts, ont-ils estimé, de la mission que leur a confiée le ministre de la Santé, Khalid Aït Taleb: mener une "commission d’audit".
Selon nos sources, les membres de cette commission d’audit n’étaient pas munis d’un ordre de mission et n’avaient même pas jugé utile de décliner leur identité. Quant au sujet de leur commission d’audit, on n’en saura pas plus. Circonstance aggravante: cette commission d’audit s’est déplacée sur les lieux sans avoir averti au préalable la clinique et sans avoir informé l’Ordre des médecins, comme le veut la procédure.
Sachez que cette clinique privée, que dirige le Pr. Jaâfar Heikel, avait pris sur elle, et avec ses propres moyens, d’accueillir (jusqu'ici ,et sous la supervision des autorités et de la délégation régionale de la Santé) pas moins de 70 patients testés positifs au Covid-19. Et avec des résultats probants, obtenus grâce à un travail de 24H/24 et 7J/7.
En effet, la clinique de Vinci a pu soigner 34 patients (qui ont entre-temps quitté, depuis, cet établissement) et en soigne 34 autres dont l’état ne prête pas à inquiétude.
Mais quelle mouche a donc piqué le ministre de la Santé pour envoyer en pleine guerre contre le coronavirus une escouade de bureaucrates de Rabat, dépêchés pour mettre en loques le moral des soignants, aux premières lignes dans la lutte contre le Covid-19? Alors même que Casablanca affronte, en ce moment même, le pire foyer de propagation du virus, avec plus de 120 salariés contaminés dans l’usine Emo Clinic, spécialisée dans la fabrication de matériel médical et paramédical?
Et alors même qu’une grosse vague de nouvelles contaminations risque de déferler dans les tous prochains jours sur les établissements dédiés au traitement du Covid-19, il est plus que difficile de bien comprendre le bien-fondé et le choix de cette décision, à ce moment même, par le ministre de la Santé, Khalid Aït Taleb. S’il avait cherché à saper le moral et à démobiliser le personnel engagé corps et âme dans la lutte contre le coronavirus, et au prix d’innombrables sacrifices, il n’aurait pas mieux agi.
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Le comportement du ministère de la Santé, et de Khalid Aït Taleb, peut être interprété comme une tentative de déstabiliser le moral des troupes médicales et de l'ensemble des corps de l'autorité publique, en cette période assimilable à une guerre. Ce ministre devrait savoir que saper le moral des troupes, à ces périodes particulières de l'histoire d'une nation, tombe sous le coup de la loi.
Selon les informations en notre possession, le Pr. Jaâfar Heikel a protesté de manière très courtoise (comme un médecin sous serment le fait d’habitude) auprès du wali de la région de Casablanca-Settat, et a saisi le Conseil de l’ordre des médecins.
Selon des sources syndicales, la même escouade d’inspecteurs s’est rendue dans les services de la direction régionale de la Santé de Casablanca-Settat. Les bureaucrates de Rabat ont également réussi, par leurs comportements, bureaucratiques, justement, à destabiliser le personnel de cette direction, alors même qu'ils et elles se montrent très mobilisée dans la lutte contre le nouveau coronavirus.
«Nous attendions des moyens, des médecins et du personnel soignant. Et Rabat nous envoie des bureaucrates portant costume et cravate. Cela sent la mesquinerie et le règlement de compte! Et c’est démoralisant!», s’exclame cette source, affiliée à un syndicat.