Exploiter le lien viscéral unissant les Marocains et leur Roi et, partant, semer la terreur parmi les citoyens à travers une vidéo au titre racoleur: «La monarchie est à l’épreuve, le peuple doit se soulever». Le procédé est abject puisque, à part distiller de pures balivernes, porter des accusations sans fondement contre des personnes physiques et morales et lancer des hypothèses plus farfelues les unes que les autres, évoquant même la magie noire et autres théories du complot, il n’apporte aucun élément un tant soit peu crédible. Mais le procédé fonctionne. La vidéo totalise déjà plus d’un million de vues et quelque 17.000 commentaires.
On y a le choix entre un coup d’État contre le roi Mohammed VI, qui serait en cours, et le prétendu état de santé du Souverain qui ferait l’objet d’un sort jeté par un collectif de sorciers très puissants. Le tout obéit à une seule fin: utiliser l’attachement des Marocains à la monarchie comme accroche pour distiller un discours ciblant les institutions sécuritaires. Derrière ce double complot, tenez-vous bien, se trouveraient les services de contre-espionnage. Mieux, ce coup d’État silencieux menace également le Prince héritier et il s’appuie… sur la sorcellerie. On savait que la DGST disposait d’une panoplie d’armes dans son arsenal, mais on ignorait que la plus efficace d’entre elles a pour nom la magie noire.
Vous l’aurez compris, nous sommes dans un océan infini de balivernes, de fabulations et de théories complotistes à dormir debout. Il en va ainsi du youtubeur Hicham Jerando, un Marocain installé au Canada, qui se présente comme un homme d’affaires. Il n’est en réalité rien d’autre qu’un agitateur partagé entre son obsession de faire du chiffre sur les réseaux sociaux et le racket de ses victimes, soit les personnalités qu’il prend pour cible dans ses vidéos. C’est finalement ce qui l’a perdu.
Poursuites judiciaires
Le parquet a ainsi décidé, le samedi 1er mars, de poursuivre en état d’arrestation quatre personnes, des proches de Hicham Jerando, accusés de complicité, et de déférer une jeune fille devant le juge des mineurs, qui a décidé de la placer dans un centre de protection de l’enfance. Dans le lot se trouvent la sœur de Jerando et son époux. Dans un communiqué, le tribunal correctionnel de première instance de Casablanca précise que les cinq mis en cause sont poursuivis pour «complicité d’outrage à une instance constitutionnelle et à un corps organisé, de diffusion et de publication d’allégations et de faits mensongers dans le but de porter atteinte à la vie privée des personnes et de les diffamer, ainsi que pour le délit de menaces». La mineure poursuivie, la nièce du principal accusé, a été manipulée dans l’achat et la fourniture des cartes SIM ayant servi dans ces actes de diffamation, d’extorsion et de menaces de la part du suspect principal.
Ces poursuites judiciaires ont été déclenchées après que l’enquête préliminaire, confiée par le parquet à la Brigade nationale de la police judiciaire (BNPJ), à la suite d’une plainte déposée par une femme victime de diffamation et de menaces via un numéro de téléphone, a révélé que les suspects avaient commis des actes relevant de la complicité de crime de diffamation, d’injure, d’outrage et de menace, d’autant plus que certains des prévenus ont perçu des sommes d’argent issues de ces actes criminels.
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Le plus étonnant, c’est que la couverture derrière laquelle s’abrite Hicham Jerando n’est autre que la lutte contre la corruption et la prévarication. Un statut de «chevalier blanc» qui jure avec les comportements du mis en cause. L’un d’eux, apprend Le360, est la demande d’intervention auprès du secrétaire général du ministère de la Santé pour qu’une des nièces de Hicham Jerando soit admise en études de médecine au Maroc. Ainsi donc, celui qui passe son temps à vendre ses vidéos à coups de lutte contre la prévarication, la corruption et le «piston», espérait enjamber un concours pour faire admettre sa nièce dans une faculté de médecine. Pour le youtubeur, c’est «faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais». Fait notable, le «piston» est aussi LA source sur laquelle reposent les récits hors-sol du youtubeur.
Un ancien cadre radié de la DGED
Nommons Mehdi Hijaouy, un ancien cadre de la Direction générale des études et de la documentation (DGED), radié en 2010, également installé au Canada, et n’ayant plus ni fonction ni contact avec les services sécuritaires marocains depuis 15 ans. Cela ne l’empêche pas de clamer qu’il fait partie de l’entourage de «Sidna» et qu’il est de tous les déplacements du Souverain. Sauf que Mehdi Hijaouy est, en même temps, un révolutionnaire qui rêve de changement. Son «intervention» n’ayant rien apporté à la nièce de Jerando, il promet à ce dernier une bien meilleure alternative une fois qu’«on va prendre les rênes». Comprenez que le monsieur a tout un projet politique en tête. Comble de l’ubuesque, alors que Hijaouy se prévaut de tout savoir sur le sérail et les dossiers les plus secrets des services de renseignements, l’agitateur se vante des milliers de dollars récoltés sur les réseaux sociaux grâce aux vues générées par les balivernes dont l’abreuve sa source.
En effet, c’est à Mehdi Hijaouy que le youtubeur doit en partie ses récits rocambolesques sur le pouvoir et les services au Maroc. Notons son feuilleton interminable de vidéos sur la DGED. Le stock étant vraisemblablement épuisé, c’est vers la Direction générale de la surveillance du territoire (DGST) que le duo semble diriger ses racontars. Si le procédé est le même, il semble gagner en suspense, puisque même le Souverain et la famille royale n’y échappent pas. Le procureur du Roi souligne à ce titre que l’enquête préliminaire se poursuit avec d’autres personnes, placées actuellement en garde à vue dans les locaux de la BNPJ à Casablanca, pour leur implication présumée dans les actes précités. Pour Jerando et sa source, la chute risque d’être trivialement terre à terre.








