Dans le contexte marocain, les chercheurs issus de diverses disciplines scientifiques évoluent dans un environnement qui présente plusieurs défis. Parmi ceux-ci figurent le développement encore en cours des infrastructures de recherche, la limitation des opportunités de publication dans des revues internationales de renom, ainsi que le besoin de politiques plus affirmées pour soutenir l’innovation scientifique, notamment chez les jeunes chercheurs. Ces enjeux se posent avec d’autant plus d’acuité que les normes internationales de publication sont de plus en plus exigeantes, ce qui peut représenter un obstacle supplémentaire à la visibilité des travaux marocains sur la scène scientifique mondiale. Il apparaît donc essentiel d’ouvrir une réflexion sur les mécanismes de publication, leur qualité et les moyens d’y accéder pour tout projet académique sérieux.
La publication académique: un enjeu global
Par sa nature universelle supposée, la recherche académique s’affranchit des frontières géographiques et linguistiques pour s’adresser à une audience scientifique mondiale. Mais la réalité impose à certains chercheurs marocains de faire face à une contrainte linguistique pressante: la publication dans la langue dominante, l’anglais. Cette langue est devenue un véritable sésame pour accéder aux revues scientifiques qui dominent le paysage de la production académique mondiale. Et même ceux qui luttent contre cette hégémonie sont contraints de publier dans cette langue pour être reconnus internationalement, et peut-être même pour provoquer un changement de l’intérieur.
Une critique des différentes formes de publication
Les revues scientifiques en priorité
En général, les articles scientifiques publiés dans des revues à comité de lecture, notamment quand ces revues sont publiées par des maisons d’édition dont la notoriété est admise, sont considérés comme plus rigoureux que les recherches diffusées sous forme de livres. Cette supériorité scientifique est attribuée au crédit du processus d’évaluation par les pairs, qui assure la qualité, la précision et la validité des travaux avant leur publication. En revanche, bien que certains ouvrages académiques soient soumis à une révision par les pairs, celle-ci n’atteint généralement pas le niveau de rigueur de l’évaluation des revues.
Par conséquent, il est recommandé aux chercheurs sérieux de concentrer d’abord leurs efforts sur la publication d’articles dans des revues à fort impact. Ces revues constituent le principal vecteur de reconnaissance académique et de diffusion des résultats de recherche. Une fois une base solide d’articles évalués par des pairs établie, les chercheurs peuvent envisager la publication d’ouvrages, notamment auprès de maisons d’édition de renom, qui considèrent favorablement les manuscrits soutenus par des publications antérieures dans des revues prestigieuses.
Le critère de la qualité: qu’est-ce qui fait une revue prestigieuse?
Il existe une idée répandue selon laquelle les revues «indexées» sont nécessairement des revues de qualité. Pourtant, l’indexation n’est qu’un indicateur technique qui ne suffit pas à juger de la qualité d’une revue. Le critère majeur au niveau mondial reste le «facteur d’impact» (Impact Factor), qui reflète l’influence de la revue dans son domaine scientifique, en fonction du nombre de citations de ses articles.
Les livres collectifs et individuels
Les livres collectifs, qui rassemblent des chapitres rédigés par différents chercheurs, présentent une richesse thématique appréciable et reflètent souvent la diversité des approches dans un champ donné. Certains ouvrages intègrent des contributions plus anciennes, parfois déjà publiées, tandis que d’autres rassemblent des travaux récents issus de conférences ou de projets de recherche en cours. Toutefois, cette diversité peut s’accompagner d’une certaine variabilité dans la profondeur des analyses et dans la cohérence globale de l’ouvrage. C’est pourquoi leur utilisation en tant que sources principales demande une lecture critique, particulièrement dans le cadre de recherches de niveau master ou doctorat. De plus, les livres encyclopédiques ou les manuels (handbooks) sont souvent superficiels dans leurs traitements, résumant des théories et des concepts sans entrer dans les fondements. Ils ne sont donc pas recommandés comme références principales, surtout pour des travaux de recherche avancés.
La publication en auto-édition
Point de place pour l’auto-édition dans le domaine académique sérieux, car l’absence de révision scientifique indépendante prive le travail de crédibilité. La publication scientifique rigoureuse suppose nécessairement que la recherche soit soumise à une évaluation par des experts neutres.
L’évaluation des livres académiques
De nombreux livres académiques publiés aujourd’hui manquent de valeur scientifique, en particulier ceux édités par des maisons d’édition peu connues ou ne disposant pas d’un processus de révision scientifique rigoureux. Les livres sérieux dans les sciences humaines et sociales sont généralement publiés par une dizaine à une quinzaine de maisons d’édition réputées à l’échelle mondiale, dont certaines sont affiliées à des universités prestigieuses. Viennent ensuite des maisons d’édition de deuxième catégorie, respectables mais également peu nombreuses. Ces livres se divisent en deux catégories:
- Les livres faisant partie d’une série scientifique supervisée par des spécialistes qui font autorité dans leurs domaines respectifs et soumise à des révisions rigoureuses, qui sont les plus prestigieux en termes de qualité et de reconnaissance.
- Les livres indépendants, révisés par des experts puis soumis à un comité de publication.
Le défi de la publication en anglais
Il faut reconnaître que publier en anglais est devenu une nécessité pour quiconque cherche à avoir une présence significative dans le débat scientifique mondial. Pour les chercheurs marocains produisant des recherches de qualité mais ne maîtrisant pas l’anglais, il n’y a pas de mal à faire appel à des collègues anglophones pour les aider. Cette pratique est courante dans le monde académique global et ne dévalue en rien la qualité du travail. Quant à la publication en français, elle peut aussi être un moyen d’atteindre l’internationalisation, à condition qu’elle se fasse dans des maisons d’édition francophones réputées, qui restent cependant rares. Les recherches publiées dans ces dernières attirent souvent l’attention des traducteurs, chercheurs et grandes maisons d’édition anglophones, en raison de leur bonne réputation.
Du Maroc vers le monde: vers des revues scientifiques de qualité
Lorsque le chercheur acquiert une réputation scientifique respectée, il peut envisager de créer une revue scientifique à partir du Maroc, en partenariat avec des maisons d’édition internationales, ce qui ouvre la voie à l’internationalisation de la recherche marocaine. Mais il est inutile de créer de nombreuses revues sans valeur ajoutée ou sans un facteur d’impact significatif. Ce genre de revues risque de devenir un fardeau et de faire perdre du temps aux jeunes chercheurs qui, souvent sous la pression des enseignants ou des administrations, se voient contraints d’y publier. J’ai d’ailleurs lu personnellement des articles de jeunes chercheurs qui méritaient d’être publiés dans les meilleures revues internationales.
Il est aussi inutile de créer des centres de recherche sans avoir d’abord accumulé des recherches solides. Le point de départ doit être la publication académique de haute qualité, suivie de la création de centres de recherche dont la réputation se nourrit de la qualité des recherches de ses membres, et non l’inverse.
La valeur de l’expérience
Soumettre des travaux à des revues prestigieuses, même si cela ne conduit pas à une publication immédiate, constitue une grande opportunité d’apprentissage. Les commentaires des évaluateurs aident le chercheur à améliorer son travail scientifique et lui révèlent les critères de qualité appliqués à l’échelle internationale.
Les réseaux académiques: une absence inquiétante
L’un des problèmes majeurs reste l’absence quasi totale des chercheurs marocains dans les réseaux académiques internationaux dans de nombreuses disciplines (par exemple la mienne). Cette absence affaiblit la présence scientifique du Maroc sur la scène mondiale et prive les chercheurs de nombreuses opportunités d’échanges scientifiques, de participation à des conférences et de découverte des dernières publications.
Le défi réside donc dans l’amélioration de la qualité de la recherche et dans l’élargissement du cercle de la publication internationale, efforts qui doivent être menés de concert avec la construction d’institutions scientifiques marocaines crédibles, pour assurer une présence effective des chercheurs marocains dans le domaine du savoir mondial. Et ce défi nécessite la collaboration des chercheurs et des institutions.








