Cette gauche française qui n’aime pas le Maroc

Tahar Ben Jelloun.

ChroniqueAujourd’hui, c’est la gauche française qui remporte l’Oscar de la bêtise et de l’aveuglement. Si on s’en tient aux déclarations à l’emporte-pièce de l’eurodéputée Rima Hassan, on est atterré par tant d’ignorance et de clichés jetés à la figure d’un public qui ne comprend rien au monde arabe, et au Maghreb en particulier.

Le 20/01/2025 à 11h00

On avait l’habitude de qualifier la droite française (avant l’apparition du Front national) de la droite la plus bête d’Europe. C’était une façon de l’attaquer sur son conservatisme et ses idées rétrogrades. Mais c’était une droite gaulliste qui n’avait pas supporté le chamboulement de mai 1968. Elle était sortie manifester contre le désordre, avec à sa tête André Malraux. Ils étaient un million! Ne serait-ce que pour cela, elle méritait le respect.

Aujourd’hui, c’est la gauche française qui remporte l’Oscar de la bêtise et de l’aveuglement. Si on s’en tient aux déclarations à l’emporte-pièce de Mme Rima Hassan (eurodéputée, née en Syrie et non en Palestine), on est atterré par tant d’ignorance et de clichés jetés à la figure d’un public qui ne comprend rien au monde arabe et au Maghreb en particulier.

La gauche -disons, pour aller plus vite, le Parti socialiste et le Parti communiste- a toujours été par principe anti-marocaine, parce qu’antimonarchique. Pour cette gauche, il n’y a rien de mieux qu’une république, quitte à ce qu’elle soit totalitaire, islamiste ou militaire, avec un parti unique de préférence. D’où son penchant à préférer le régime algérien à la monarchie marocaine. Ce n’est pas nouveau. Ici, l’aveuglement est total. Pas moyen que la gauche accepte de changer son logiciel de lecture. L’écrivain Boualem Sansal en fait les frais.

François Mitterrand, grand président et immense homme politique, avait balayé d’un revers de la main ces clichés imbéciles au point de fréquenter souvent feu le roi Hassan II, auquel il vouait une admiration sincère, ce que le Roi lui rendait bien.

Un jour, Danielle, l’épouse du président Mitterrand, connue pour soutenir les thèses algériennes sur le Sahara atlantique, m’a pris à part et m’a posé cette question, qui apparemment la troublait: «Qu’a fait votre Roi à mon mari? Il l’admire, ils se téléphonent souvent et se parlent comme s’ils étaient du même bord politique.»

Je me souviens avoir répondu quelque chose du genre: «Je ne sais pas, mais disons que François est un chef d’État intelligent qui sait faire la différence entre une république totalitaire et une monarchie constitutionnelle vivante et très active, comme celle du Maroc, un pays où le principe du parti unique est interdit.»

Ma réponse ne l’avait pas satisfaite, elle poursuivra son soutien au Polisario jusqu’à sa mort en novembre 2011.

Pour être tout à fait juste, François Hollande a eu durant son quinquennat un excellent rapport avec Sa Majesté Mohammed VI. J’ai eu la chance d’être témoin de cette amitié entre les deux chefs d’État. Cela n’a pas débouché sur un changement dans la politique française qui a de tout temps voulu maintenir un équilibre entre l’Algérie et le Maroc, notamment sur la question du Sahara.

Les autres socialistes reconnaissent que le système de la rente mémorielle d’Alger agit sur leur inconscient.

Jack Lang, socialiste de la première heure et actuel président de l’Institut du Monde arabe, s’est beaucoup rapproché du Maroc dont il admire plusieurs aspects et le dit volontiers quand il est interrogé par les médias. Du coup, il est catalogué comme «lobbyiste» pour le Maroc.

«Certains députés de gauche français savent qu’il leur faudra tôt ou tard rejoindre la décision de Macron et de cesser de rêver d’un État sahraoui préfabriqué par l’Algérie.»

La gauche actuelle, avec en particulier La France Insoumise (LFI), n’a pas défendu Boualem Sansal, embastillé par le régime d’Alger depuis la mi-novembre 2024. Non pas parce qu’elle n’aime pas ses ouvrages, mais parce qu’elle ne veut pas fâcher le régime d’Alger, puisque l’écrivain est en prison pour avoir rappelé qu’une partie de l’Ouest algérien était marocaine avant la colonisation.

LFI semble lui reprocher ses prises de position jugées proches de celles de l’extrême droite. Mais le fond de la réaction de ce parti est la préférence du régime algérien à celui du Maroc. Certains compatriotes pensaient que Jean-Luc Mélenchon soutiendrait la cause marocaine de son Sahara du fait qu’il est né à Tanger et qu’il a visité souvent notre pays.

Mélenchon fait de la politique, pas du romantisme. Il fait ses calculs et en ce moment, toute sa politique consiste à précipiter la démission du président de la République actuel en vue de se présenter, comptant arriver en finale face à Marine Le Pen, et que de nouveau les Français rejetteront le Rassemblement national. Il compte sur le vote «musulman», ce qui est très aléatoire et assez flou. Il vient de réagir à propos de la crise ouverte par Alger avec la France: «Nous ne voulons pas faire la guerre à l’Algérie». Il a juste oublié que c’est l’Algérie qui veut faire la guerre à tout le monde: au Maroc, à l’Espagne, à la France, au Mali, etc.

Vendredi dernier, Bernard Caseneuve, ancien premier ministre de François Hollande, a publié dans le quotidien français L’Opinion un soutien fort bien documenté à l’écrivain Boualem Sansal. Il se distingue ainsi par sa liberté de ton, ce qui l’éloigne du Parti socialiste, qui reste pro-algérien quoi qu’il arrive.

Certains députés de gauche savent qu’il leur faudra tôt ou tard rejoindre la décision de Macron et de cesser de rêver d’un État sahraoui préfabriqué par l’Algérie. Aveuglés par la haine de Macron, ils s’opposent sans nuances et sans intelligence à tout ce qu’il entreprend.

Cela étant, le Maroc doit travailler encore sa diplomatie en profondeur pour que sa cause soit mieux connue et comprise par tous ceux qui ont le réflexe de soutenir automatiquement une république contre une monarchie. On sait que, plus le régime algérien perd sur le terrain diplomatique, plus il achète d’armes, préparant une guerre fratricide contre le Maroc qui n’a cessé de lui tendre la main et de rappeler qu’il vaut mieux coopérer pour le bien des peuples que de se lancer dans une aventure dont l’issue ne peut être que dramatique.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 20/01/2025 à 11h00