Les Français nomment ce couple CNC (couple non cohabitant) ou le célicouple ; au Québec, VCCS (vivre en couple chacun pour soi) ; les Anglo-Saxons LAT (living apart together, vivre ensemble séparément). Ils représentent plus de 12% des couples en France et plus 2 millions de personnes au Canada.
Un modèle loin du mariage tel que nous le connaissons, c’est-à-dire deux époux censés être unis à vie, partageant le toit, la chambre, le lit.
Aujourd’hui, des couples choisissent de vivre séparés. Au Maroc, ils sont rares, mais leur nombre augmente.
Il faut supporter la pression des familles. Faïrouze, 35 ans: «Notre couple scandalise. Les gens pensent que nous sommes divorcés, que mon mari a une autre épouse… Ils disent mazwage ma walou (ce n’est pas un mariage)».
Ces époux sont plus ou moins aisés, car ils entretiennent chacun un foyer, ce qui double les dépenses du couple. L’autonomie peut être leur motivation. Maria, 34 ans: «J’ai un travail stressant et un besoin de me reposer le soir et d’avoir des activités pour mon bien-être. Vivre avec un homme à temps plein? NON! La cohabitation tue l’amour». L’époux, Adam, 38 ans: «Nous avons un fort caractère. Après un an de cohabitation, nous nous sommes séparés pour réfléchir au divorce. Mais nous nous aimons. Nous avons sauvé notre couple en vivant séparés».
L’amour pousse à chercher la proximité de l’être aimé, à sentir sa présence, son corps. Deux individus se fondent dans une symbiose, pour ne former qu’un. Symbiose qui s’atténue au fil de la vie commune.
La cohabitation crée des tensions entre deux personnes au tempérament différent: «Au réveil, je déteste qu’on me parle. J’aime me préparer en paix, prendre mon café en écoutant de la musique, sans parler. Mon mari me bombarde de questions. Ma journée démarre mal». Le mari: «Elle se réveille en râlant et malheur si tu lui parles!»
Deux mentalités différentes doivent s’harmoniser, gérer le foyer avec chacun sa logique. La prise de décision provoque conflits et animosités chez des conjoints qui ne maîtrisent pas leurs émotions. La tension gonfle, les mots deviennent explosifs chez ceux qui refusent la différence chez l’autre, aveuglés par leurs convictions. Chacun pense détenir LA vérité!
L’amour devient haine. La solution? Dialoguer, proposer ses arguments, écouter et analyser ceux de l’autre, sans orgueil. Remettre en question ses convictions, donner raison à l’autre s’il est sensé. Dire pardon quand on se trompe.
La cohabitation, une charge pour les épouses. Maria: «Je m’occupe de mon travail, de ma maison et de lui: ses repas, ses habits, son linge… Séparée, j’ai la paix». Adam: «Je suis marié, sans épouse pour mon confort. Mais elle remplit mon congélateur tous les vendredis».
Ce couple compte cohabiter après la naissance d’un enfant.
Mais la majorité des couples vivant séparés sont veufs ou divorcés, ayant des enfants, voulant éviter les aléas du couple recomposé: «Mon mari a un enfant et moi, deux. La cohabitation est difficile entre des enfants de parents différents. Nous vivons séparés. Nos enfants ont gardé leurs repères en restant chez eux, sans conflits avec le beau-père ou la belle-mère. Notre passion dure depuis cinq ans. Si nous avions cohabité, nous aurions divorcé».
La réussite de l’union dépend de la transparence: «Il faut se mettre d’accord sur tout. L’argent peut être source de conflit». Une gestion particulière: «L’inconvénient ? Il n’est pas contraint par un budget conjugal. Il paye les sorties, me fait des cadeaux, mais pour le reste, c’est mon affaire». Ce qui ne déplaît pas au mari: «Je ne paye pas les charges de son foyer. Je compense par les sorties, les voyages». Un autre époux: «Je lui verse une allocation mensuelle pour ses besoins personnels. Son foyer est financé par son ex-mari qui est le père de ses enfants».
Loin des yeux, loin du cœur ? Non! Plutôt la joie des retrouvailles: «La fin de semaine est attendue comme un premier rendez-vous amoureux».
Le désir serait plus intense. Soukaïna: «Coucher tous les soirs dans le même lit affecte le désir. La sexualité devient un devoir». Les retrouvailles se préparent. Nassim, son mari: «Ma femme se fait belle. Elle est souriante et disponible. Dans la relation classique, le désir mutuel disparaît».
Les couples s’épanouiraient dans ces retrouvailles à la passion renouvelée. Ils ne souffrent pas de solitude: «On se parle souvent au téléphone. Je vis libre sans être seule». Le temps partagé n’est pas subi, mais choisi.
Les hommes sont heureux de ne pas être harcelés. Nassim: «Je zappe, regarde mes matches de foot, m’éternise sur l’ordinateur, rencontre mes amis. Personne ne me demande fine ghadi, mnine jaye (où vas-tu? D’où viens-tu?)».
Interrogées, de nombreuses épouses qui ne vivent pas séparées s’exclament: «Ce serait le bonheur! Ne pas m’occuper de son linge, de ses repas. Je passerais ma semaine à attendre nos retrouvailles, à le désirer. Occuper le lit en diagonale, voir mes films et dormir quand je veux».
Mais la réalité reprend vite le dessus: «Nonnnn! Si je laisse du vide à mon mari, je le pousserais à me tromper!»
L’idéal pour certaines: «Cohabiter et, de temps en temps, chacun voyage une semaine pour briser la routine». Une solution intermédiaire? «Nous vivons ensemble. Nous avons une chambre commune, mais j’ai ma propre chambre dans laquelle je me réfugie quand je veux m’isoler».
Vivre ensemble séparément semble faire le bonheur de quelques couples. Il n’y a pas un modèle unique de bonheur. Ce qui compte c’est de faire ce en quoi on croit… et d’assumer!