C’est donc ces jours-ci que l’Inde est devenue officiellement le pays le plus peuplé du monde, dépassant la Chine.
Bravo.
Bravo… de quoi, pour quoi, exactement?
J’ai regardé sur une chaîne allemande un reportage éclairant. Le réalisateur, roublard, filma des Indiens qui se rengorgeaient d’être si nombreux à encombrer le globe; puis il leur proposa de continuer l’interview chez eux. Voici donc un certain Mohinder, petit fonctionnaire de Bombay, moustachu, l’air niais et la vue basse. Il habite avec sa femme, ses quatre enfants, sa mère, sa sœur et une vieille tante dans un appartement minuscule, vétuste, au sixième étage d’un immeuble qui semble ne tenir que par la peinture écaillée de sa façade et par la grâce du dieu Shiva. Mohinder déplore devant la caméra sa vie de misère et de promiscuité. «On dort à cinq ici (geste) et à quatre là-bas! Et c’est mon maigre salaire qui doit nous nourrir tous…»
Mohinder, mon ami, toujours fier d’être surpeuplé?
(On se demande d’ailleurs comment il a fait pour engendrer quatre moutard(e)s. L’ascenseur? L’armoire? Le palier?)
Dans le cadre d’un article que je voulais écrire sur la problématique de l’eau, je me suis renseigné sur l’Inde. Je me disais: au moins, ils en ont à satiété, vu les inondations qui frappent régulièrement le sous-continent. Eh bien, non: mon collègue Erwin, un expert, m’envoya ce court message: «les nappes phréatiques indiennes sont menacées d’épuisement; par ailleurs, elles sont lourdement polluées par l’agriculture intensive qui consomme 90% de l’eau extraite des puits; et des millions de puits supplémentaires sont forés chaque année. On va à la catastrophe.»
Mohinder, mon ami, tu entends ça? Toujours fier?
Mohinder, les lapins sont encore plus nombreux que les Indiens, mais je n’ai pas encore rencontré un seul lapin qui en tire gloire. D’où l’on conclut que les mammifères aux longues oreilles sont plus sages que certains humains.
Changeons d’optique. Que fait le gouvernement de New Delhi, face à cette situation inquiétante?
Eh bien, rien. Ou plutôt, il a trouvé un moyen ingénieux pour réduire la population du pays. En effet, le gouvernement nationaliste de Narendra Modi vient de réécrire les livres d’Histoire. Désormais, les élèves apprendront que l’Inde est un pays ethniquement pur, 100% hindou. C’est la position officielle du parti Bharatiya Janata, dont Modi est le chef. Leur doctrine, l’Hindutva, fait des 150 millions de musulmans indiens des non-personnes.
Les nouveaux manuels passent sous silence l’Empire moghol, et en particulier les six premiers empereurs, ceux qu’on nomme les Grands Moghols (Babour, Humayoun, Akbar…), qui avaient le tort d’être musulmans. L’Empire fut un moment fondamental dans la construction de l’Inde; tant pis, on l’oubliera. Un peu comme si on voulait raconter l’Histoire de France sans souffler mot de Napoléon… Quant au Taj Mahal, construit par l’empereur moghol Shâh Jahân et qui est le monument le plus célèbre du sous-continent, on dira aux élèves qu’il s’agit d’un vaisseau spatial abandonné là par des extraterrestres.
Résumons-nous: l’Inde est devenu le pays le plus peuplé du monde, les nationalistes en sont fiers alors qu’ils vivent dans des clapiers surpeuplés; l’eau manque, les sols se dégradent, mais le gouvernement a trouvé la parade en transformant une bonne partie de la population en fantômes…
Bravo.
Mais rassure-toi, Mohinder: il n’y a pas que l’Inde, le monde entier est peuplé de benêts qui n’ont pas encore compris que la croissance démographique est une bombe à retardement qui nous explosera tous à la figure un jour.
Vraiment, il n’y a pas de quoi être fier de proliférer, de pulluler, de polluer…