C’est l’histoire, devenue virale, d’un homme qui voulait simplement aider quelqu’un dans le besoin. Une personne atteinte d’hépatite B devait se procurer du Baraclude, un antiviral prescrit pour éviter les complications hépatiques graves. Mais, la surprise est de taille, puisque le prix est de 5.266 dirhams la boîte de 30 comprimés.
Pris de court, choqué par ce montant, il refuse de baisser les bras. Il fait quelques recherches, active ses contacts, compare les marchés. Quelques jours plus tard, il revient avec le même médicament… acheté en Turquie. Prix payé: 580 dirhams. L’équivalent d’environ 2.602 livres turques. Même dosage (0,5 mg). Même laboratoire (Bristol-Myers Squibb). Même boîte. Aucune aide de l’État turc, juste le prix du marché.
L’histoire fait rapidement le tour des réseaux sociaux. «J’ai demandé s’il y avait une subvention. Il m’a répondu non. Seuls certains assurés peuvent bénéficier de réductions, et encore, sous des conditions complexes. Là, c’est bien le prix normal», raconte l’auteur du post Facebook qui a suscité de nombreuses réactions.
Le décalage est si flagrant qu’il ne laisse personne indifférent. Comment expliquer qu’un antiviral, fabriqué par un même laboratoire international, soit vendu à un prix plus de neuf fois supérieur à celui pratiqué en Turquie? Pour ceux qui travaillent sur le terrain, ce scandale a un goût amer de déjà-vu. Ils affirment que la tarification actuelle est obsolète.
Tout un système tarifaire pointé du doigt
Selon Mohamed Lahbabi, président de la Confédération des syndicats des pharmaciens du Maroc, l’exemple du Baraclude (qui a été retiré du marché, selon la liste des médicaments fournie en ligne par l’Agence marocaine des médicaments et des produits pharmaceutiques) est révélateur d’un dysfonctionnement plus large.

«Ce n’est pas un cas isolé. Il y a des dizaines de médicaments vendus plus chers au Maroc qu’ailleurs. Au lieu de réduire les prix des médicaments réellement onéreux et qui pèsent lourd sur le budget des citoyens comme sur les caisses de prévoyance, la tutelle a préféré s’attaquer à ceux dont le prix est déjà très bas, sans réel impact économique. Ils ont baissé les prix les plus faibles, en laissant de côté ceux qui sont véritablement budgétivores, comme le Baraclude. C’est tout simplement inadmissible», dénonce-t-il.
Du côté de la société civile, la réaction est tout aussi ferme. Ali Lotfi, président du Réseau marocain pour la défense du droit à la santé et à la vie, signale que les prix des médicaments au Maroc sont souvent «deux à cinq fois supérieurs» à ceux pratiqués en Europe. Il rappelle, par ailleurs, que le ministre délégué chargé du Budget, Fouzi Lekjaâ, avait déjà reconnu ce fait qu’il qualifie d’«alarmant et inadmissible» devant le Parlement, sans que cela ne débouche sur une baisse généralisée des prix.
«Depuis des années, nous attirons l’attention sur ces écarts tarifaires injustifiables, mais les mesures prises restent symboliques, quand elles ne sont pas simplement repoussées. Les médicaments essentiels, comme ceux contre l’hépatite B ou C, continuent d’être hors de portée pour des milliers de patients», déplore-t-il.
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Il rappelle que le Maroc avait lancé, entre 2016 et 2017, une initiative visant à produire localement des génériques pour les hépatites, dans la lignée de ce qui a été fait en Égypte. Mais l’objectif d’accessibilité a été largement manqué.
Un décret dépassé?
Comme le rappelle si bien Mohamed Lahbabi, président de la Confédération des syndicats des pharmaciens du Maroc, le cœur du problème réside dans le mode de fixation des prix des médicaments.
Un décret vieux de plus de dix ans encadre cette procédure. Selon une source proche du dossier, le prix du médicament est calculé sur la base des tarifs pratiqués dans un groupe de pays de référence (France, Espagne, Belgique, Portugal, Turquie, Arabie Saoudite et le pays d’origine). Le prix le plus bas est retenu comme référence. À ce montant, on applique ensuite des marges fixes pour les distributeurs et pharmaciens, ainsi qu’une TVA de 7%.
Mais cette méthode est aujourd’hui jugée rigide, inadaptée aux réalités du marché et déconnectée des enjeux de santé publique. «C’est une application purement mathématique, qui ne prend en compte ni le pouvoir d’achat des citoyens, ni le volume de vente, ni les enjeux médicaux, d’où l’urgence de moderniser ce décret, et intégrer des critères de justice sociale», explique un acteur du secteur.
Un nouveau texte réglementaire «est désormais dans sa phase finale et sera prochainement soumis à la procédure d’adoption au sein du Conseil de gouvernement». C’est ce qu’a annoncé hier, lundi 21 juillet à la Chambre des représentants, le ministre de la Santé, Amine Tahraoui, mais rien ne garantit pour l’heure que cette réforme corrigera les déséquilibres pointés de longue date, fait observer notre interlocuteur.
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Selon le ministre, ce décret devrait permettre, une fois adopté, une baisse significative des prix, tout en préservant un équilibre entre l’accessibilité pour les patients et le soutien à la production locale.
Le ministre précise que cette réforme a été menée dans le cadre d’une approche participative, incluant plus de 30 réunions avec les fédérations industrielles, les représentants des pharmaciens et ceux du secteur de l’assurance, tout en signalant que ce nouveau modèle repose sur la réduction des délais de révision des prix, l’application progressive de la réforme pour garantir la stabilité du marché, la préservation des médicaments à bas prix et l’encouragement de la production nationale.
«Reste à voir si ce nouveau décret parviendra à résoudre les inégalités les plus flagrantes. En attendant, les malades continuent de faire les frais d’un système qui n’a pas encore changé», conclut Ali Lotfi, président du Réseau marocain pour la défense du droit à la santé et à la vie.









