Avec leurs mains, ils ont construit leurs maisons. Avec des pierres, de l’argile, du pisé et quelques bricoles collées pour élever quatre murs. Quatre murs pour abriter une famille. Le bétail dort dehors. Mais la maison est là. Fragile, rudimentaire, simple, précaire, un coup de vent trop violent peut la faire bouger. Mais ils n’ont pas pensé, ils n’ont pas imaginé que la terre allait trembler et tout détruire au moment où tout le monde dormait. Le séisme a attendu que toutes les familles soient rassemblées pour frapper et tuer.
Ce sont des gens modestes, pauvres, ils ont refusé de céder à l’envie de l’exode, ils sont restés chez eux, dans leurs maisons, dans leurs foyers, à cultiver leur terre, à s’occuper de leurs bêtes. Pas question de descendre à Marrakech ou Agadir chercher du travail ou devenir mendiant.
Mais la vie, leur vie, ne pouvait pas les prémunir contre cette catastrophe. Une catastrophe est ce qui arrive sans qu’on soit préparé pour la vivre. Bien sûr, le souvenir d’Agadir est dans la mémoire des anciens. Peut-être que la tragédie d’Agadir a été contée aux enfants et à leurs parents.
Une nuit de février 1960, au troisième jour de Ramadan, Agadir n’existait plus. Je me souviens, j’étais au collège, à Tanger. Nous n’étions au courant de rien. Le professeur d’Histoire nous dit à huit heures du matin: la ville d’Agadir a été rayée de la carte cette nuit. Nous étions jeunes et nous ne connaissions rien des origines des séismes.
La terre a tremblé. Les maisons sont tombées. Les occupants sont morts sous les décombres. C’est cela, un séisme. Ça arrive, ça ne prévient pas. Il paraîtrait que certains animaux le sentent arriver et prennent la fuite, les chats surtout, et les cafards. Il paraît aussi qu’à San Francisco, ville constamment menacée par un tremblement de terre, des scientifiques élèvent des cafards et les observent afin de prévenir la population au cas d’un séisme imminent.
Aujourd’hui, on repense à Agadir, à ce qu’elle a été et ce qu’elle est devenue. Toutes les constructions appliquent les techniques antisismiques.
Dans le village d’Ighil ou de Moulay Brahim, on ignore ces techniques. Normal, on est à la campagne. La maison, on la construit avec les mains et on la bâtit avec ce qu’on trouve.
Une maison est faite pour protéger, pas pour s’effondrer et tuer. Ça, personne n’y a pensé. La dernière fois que la terre a parlé, c’était en 2004, loin d’Ighil, loin de Moulay Brahim, à El Hoceima, dans le Nord. 6,3 sur l’échelle de Richter. Moins de dix ans après, la terre a encore frappé.
Face à la catastrophe, l’être est démuni. Bien sûr, il est solidaire. Il donne son sang, il peut donner aussi de son argent. Il se sent concerné et se dit que cela aurait pu lui arriver, à lui aussi.
Ces trois jours de deuil décrétés par le gouvernement serviront à la population pour méditer et prendre la mesure des choses. Nous sommes peu de choses. Il suffit de quelques secondes pour que tout soit emporté et que plus rien ne subsiste, ni les biens, ni les meubles, ni les banques et ce qu’il y a dedans, ni les corps et leur âme qui s’envole, s’évapore. Plus rien n’existe. De l’être, on passe au néant.
C’est ainsi, et on n’y pourra rien. Quand la nature se déchaîne, elle emporte tout et ne fait pas de distinction entre le riche et le pauvre, sauf que les pauvres sont les premiers à mourir, les premiers à être emportés par la colère des eaux, des bourrasques, des ouragans ou des séismes.
Les pauvres sont les plus disposés à subir le malheur du sort. Que ce soit un tsunami, un ouragan ou un séisme, ce sont les premiers à être emportés. Au malheur d’exister succède la brutalité de la nature, la terre avec ses failles, ses couches, son métal nous rappelle qu’elle n’est pas plate, mais bien ronde et qu’elle tourne, tourne à perpétuité autour du soleil. Cet astre n’est pas en reste. Lui aussi s’y met. La planète se réchauffe anormalement et nous connaissons des canicules graves et meurtrières.
Et l’Homme est petit, tellement petit. Il n’a qu’à se tenir coi et attendre le moment de quitter cette terre pour une destination inconnue.
Et avec tout cela, face au désastre, nous sommes solidaires, fraternels, humains. Je pense à ceux d’Imil Dounit (la bouche de la vie), ceux d’Ouïrgane, de Moulay Brahim, d’Amizmiz, d’Ighil, de Sebt Mzouda et de Tazgal, village entièrement détruit.
Un mot aussi pour la mosquée de Tinmel, joyau de la dynastie almohade, construite en 1148, classée patrimoine mondial de l’Unesco. Cette belle mosquée a résisté à toutes les intempéries depuis plus de huit cents ans. Là, en une seconde, elle a été engloutie. Elle n’existe plus.