«Le train en provenance de Casa-Voyageurs et à destination de l’Oasis, Berrechid, Settat, Ben Guerir, Marrakech, entre en gare dans quelques instants. Éloignez-vous du quai s’il vous plaît». Quelques mots suffisent. Les voyageurs obéissent presque instinctivement. Sa voix rassure, organise, annonce. Elle est partout, mais son visage reste inconnu.
Ghizlaine El Merzougui fait partie de ces voix que l’on connaît par cœur sans jamais pouvoir leur associer un visage. Annonces de l’ONCF, messages téléphoniques, boîtes vocales, promotions… Sa voix a traversé les années, les technologies et les habitudes, jusqu’à devenir une signature sonore.
«Moi, c’est Ghizlaine. Tout court», dit-elle simplement. Avant d’être une voix, elle était dans la production, l’image et le son. C’est presque par hasard que tout commence: prêter sa voix une fois, puis deux, puis trois. Les clients aiment, l’expérience se répète. «Ça a mordu à l’hameçon», rigole-t-elle.
Ses premières expériences relèvent presque du jeu. Des personnages, des concepts animés, des petits rôles où la voix est reine. «C’était vraiment une époque où nos voix étaient très, très mises en valeur».
Puis arrive l’ONCF. Un système précis, presque chirurgical. Trois voix pour couvrir tout le réseau ferroviaire national. Ghizlaine rejoint deux autres voix déjà en place. Chacune a son trajet. Le sien c’est Casa–Marrakech. C’est là que les voyageurs l’entendent, jour après jour. Ses amis, eux, s’amusent. «C’est toi qui nous as annoncé le retard du train», lui disent-ils.
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Certains sont persuadés qu’elle parle en direct depuis un bureau. En réalité, tout est préenregistré. Mais l’illusion fonctionne. Parce que la voix est juste. Même scénario du côté des télécoms. À l’époque de Méditel, sa voix annonce promotions, soldes épuisés et messageries vocales. Sur le moment, elle n’en mesure pas l’impact. «Je m’éclatais, j’étais à fond dedans», confie-t-elle. Ce n’est qu’en s’écoutant plus tard, sur un quai ou dans un train, qu’elle réalise que «ce n’est pas mal».
Dans son studio, le travail reste rigoureux et presque intime. Pour les messages courts, elle enregistre debout. Pour les longs textes, elle s’installe, sort son tabouret, prépare ses repères et prend le temps.
Aujourd’hui pourtant, le paysage change. Une nouvelle voix s’impose, sans souffle ni respiration, celle de l’intelligence artificielle. Ghizlaine l’observe de près, sans la nier, mais sans la craindre non plus. Elle compare. Elle écoute. Elle met côte à côte la voix humaine et la voix synthétique. «Écoutez celle-là, écoutez celle-là, et jugez par vous-mêmes», dit-elle.
«Une voix IA est plate, elle ne me parle pas»
Son constat est sans appel. Là où la technologie reproduit des sons, la voix humaine transmet quelque chose de plus fragile, de plus subtil. Une intention. Une émotion. «Une voix IA est plate. Elle ne me parle pas», tranche-t-elle. Devant certains contenus, elle décroche dès qu’elle reconnaît cette neutralité artificielle. Trop lisse. Trop parfaite. Trop vide.
Pour Ghizlaine El Merzougui, une voix est une manière de s’adresser à quelqu’un, pas à une foule abstraite. Et tant qu’il y aura des quais, des attentes, des silences à habiter, elle reste convaincue d’une chose: aucune machine ne remplacera totalement ce frisson-là.








