1. L’Afrique est une priorité absolue et un espace de projection stratégique de notre diplomatie. La vision arrêtée au plus haut niveau par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, que Dieu L’assiste, est on ne peut plus claire et précise. Elle fait de l’émergence africaine l’objet et le sujet premier de toutes les ambitions diplomatiques du Royaume du Maroc envers le Continent, envers ses institutions et envers ses populations. Mais je retreindrai surtout l’optique d’une étape importante pour faire bouger les lignes et construire l’avenir que nous voulons pour nous et les générations qui suivront.
Aujourd’hui, la question est de savoir quel est le degré d’avancement de la construction africaine? Le fait est que cette construction africaine est à la fois un concept, une exigence et une ambition. Le temps est venu pour qu’elle devienne plus que jamais un vécu, une réalisation et un système organisé. L’Afrique intégrée et l’Afrique géopolitique sont à mon sens les deux facettes les plus stratégiques de cette perspective.
L’Afrique géopolitique
2. Je définirais l’Afrique géopolitique comme une capacité. Une capacité de se positionner dans les équilibres mondiaux mouvants. Toute entité géopolitique a besoin de trois éléments fondamentaux pour être fonctionnelle: de l’intégration, de la cohérence et un projet commun. L’Afrique n’est pas un marché, mais bien une force politique avec des croissances soutenues, des réalités socioéconomiques diverses et des ambitions affirmées. L’intégration sur notre Continent connaît des modèles relativement avancés qui fonctionnent et d’autres relativement timides qui trépignent. Je pense à la CEDEAO, à la SADC et à d’autres groupements régionaux qui se sont distingués dans leur capacite à créer effectivement de l’unité et de l’homogénéité dans leurs desseins diplomatiques. Beaucoup, si ce n’est tous les enjeux auxquels font face nos pays africains, ont ce dénominateur en commun: l’exigence d’établir des espaces régionaux homogènes, aux circulations fluidifiées et maîtrisées où domineraient non seulement l’entente, mais également le dialogue, la coopération, l’esprit de compromis et de bon voisinage.
3. L’Afrique a besoin d’engager un débat de fond sur ses capacités d’intégration. C’est là le cœur de l’action diplomatique volontariste du Maroc au sein du l’UA, mais également dans l’ensemble de nos relations partenariales avec nos pays frères et amis africains. Preuve supplémentaire de cet engagement solide, l’Afrique concentre aujourd’hui les 2/3 des investissements directs étrangers (IDE) du Maroc. Le Royaume a investi, depuis 2008, plus de 3 milliards de dollars sur le continent et devient, aujourd’hui, le plus grand investisseur africain en Afrique de l’Ouest et se positionne comme l’un des deux plus grands investisseurs africains à travers le Continent.
4. L’intégration c’est aussi une culture politique avec ses propres exigences. Si on prend le modèle européen pour exemple, on comprend que c’est un processus qui demande du temps pour arriver à maturation. Encore aujourd’hui, l’intégration européenne, bien qu’elle soit l’une des plus avancées, se heurte parfois à des difficultés politiques. Je ne dis pas que l’Afrique devrait calquer le modèle européen. L’Afrique c’est d’autres réalités, d’autres exigences et d’autres aspirations. Mais encore faut-il qu’au-delà des vœux pieux, nous travaillions sur le terrain pour identifier et actionner les leviers politiques qui nous permettrons d’avancer sur ce chemin. Ce n’est pas un exercice facile. Il faut que notre approche puisse trouver des équilibres parfois délicats, entre les disparités de nos tissus économiques, de nos législations respectives, de nos procédures et j’en passe. C’est un travail de longue haleine auquel s’attache actuellement, entre autres, le Secrétariat de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf).
5. Néanmoins, loin d’être une fin en soi, la création de la Zlecaf marque le début d’un plan collectif plus large et d’un nouveau modèle de co-développement solidaire, efficace et inclusif au service du citoyen africain. En tant que tel, il s’inscrit parfaitement dans la vision de Sa Majesté le Roi Mohammed VI pour une Afrique intégrée et prospère qui place le développement socio-économique de l’Afrique parmi ses principales priorités.
La cohérence africaine
6. Sa Majesté le Roi Mohammed VI a dit, lors de la Conférence de lancement du Forum africain des investisseurs souverains: «Il est aujourd’hui temps que l’Afrique puisse s’affirmer, prendre son destin en main et occuper le rang qui lui échoit. La perception du reste du monde de l’Afrique doit évoluer irrémédiablement.» C’est que l’Afrique doit opérer aujourd’hui un changement de paradigme en vue de parvenir à un développement socio-économique plus juste et équitable. Notre action commune est appelée continuellement à se focaliser sur plus de justice sociale, de démocratie, de développement humain, avec pour exigence première de créer de plus grandes opportunités de travail pour nos jeunes. Ce n’est qu’alors que nous serons en mesure d’atteindre un niveau de stabilité suffisamment pondéré pour créer les conditions d’un continent plus prospère et plus audacieux. Il n’en demeure pas moins que les perspectives de l’émergence africaine restent tributaires de l’articulation d’un véritable système décisionnel, qui soutient non seulement la complémentarité économique mais également des volontés politiques convergentes, engagées à l’unisson pour l’intérêt du Continent, et ce, en dehors de toutes courtes vues politiciennes et idéologiques.
Le projet commun c’est l’idéal panafricain
7. Le Maroc a fermement cru, depuis le tout début, à un projet panafricain ambitieux, large et structurant. Le Maroc n’a jamais changé le cap de cette priorité depuis la conférence de Casablanca, restant indéfectiblement attaché à l’Afrique et à l’unité africaine. De la conférence de Casablanca en 1961 à nos jours, beaucoup de choses ont changé, exception faite de nos valeurs fondamentales. Sa Majesté feu le Roi Mohammed V et, après Elle, Sa Majesté feu le Roi Hassan II n’ont ménagé aucun effort pour initier, renforcer et élever cette unité africaine d’un rêve vers une réalité comme en témoignent les Hautes Orientations de Sa Majesté Mohammed VI pour une Afrique renouvelée dans ses élans d’avenir.
8. La dernière réunion ministérielle des pays africains de l’Atlantique organisée à Rabat par le ministère des Affaires Etrangères marocain participe de cette ambition. Nous nous concentrons, en tant que Marocains et Africains, sur la construction de ponts, le renforcement de notre dialogue et l’amélioration de nos capacités à fournir des réponses communes aux menaces communes. L’initiative se présente comme un espace ouvert désireux de renforcer la coopération Sud-Sud en promouvant les valeurs de l’unité et de la solidarité africaines.
9. Le projet de gazoduc Maroc-Nigeria est également un réel exemple de la place du corridor atlantique Europe-Afrique. Ce projet permettrait de connecter les ressources gazières nigérianes aux pays de l’Afrique de l’Ouest et au Maroc pour desservir l’Europe. Il permettrait aussi le développement d’industries et d’emplois le long du gazoduc. Il s’agit là encore d’un chantier qui s’inscrit dans la logique de corridor, axé sur l’infrastructure, l’interconnexion énergétique et le développement économique.
10. Aussi, en matière de développement agricole en Afrique, les investissements réalisés par le Groupe OCP font du Royaume un réel acteur de la transformation agricole et du renforcement des chaînes de valeur régionales. Son approche dépasse l’approvisionnement en engrais et phosphates pour toucher des aspects comme l’accompagnement et la formation des fermiers, la préservation des sols et la création de synergies dans le domaine agricole.
11. Similairement, le nouvel accord entre le Maroc et le Nigeria visant le développement d’une plateforme d’engrais pour un investissement de 1,3 milliard de dollars est une réelle expression de l’engagement du Maroc en faveur du développement agricole en Afrique et pour la mise en place d’un corridor atlantique articulé autour de la connectivité, de l’industrialisation et de la création de complémentarités régionales.
12. De plus, l’Agence Marocaine de Coopération Internationale (AMCI) constitue un outil de coopération majeur et leader dans la formation des talents africains. Créée en 1986 afin de développer, d’élargir et de renforcer l’ensemble des relations culturelles, scientifiques et techniques du Royaume avec les pays partenaires, notamment dans le cadre de la Coopération Sud-Sud, l’AMCI a intensifié ses activités sur le Continent au travers de plusieurs métiers qui visent à renforcer les compétences africaines: coopération académique, coopération technique, appui aux projets de développement humain durable... Ainsi, entre 1999 et 2019, l’AMCI a permis la formation de 23.000 lauréats originaires de 47 pays du Continent, parmi lesquels 20.000 ont été boursiers du Royaume durant leurs cursus au Maroc.
Des enjeux encore pressants
13. N’oublions pas aujourd’hui que nous avons encore un long chemin à parcourir. Les défis complexes en matière de sécurité gagnent du terrain et constituent une menace sérieuse pour la stabilité de notre continent. Ils sont de plus en plus interdépendants, évoluent rapidement et entravent nos capacités de développement, de paix et de sécurité.
14. L’Afrique a plus que jamais besoin de paix et de croissance pour soutenir son émergence et son progrès. Mais la paix et la croissance nous obligent à choisir volontairement et sans condition l’unité plutôt que la division et à privilégier le dialogue à toutes formes de manipulations politiques ou politiciennes. Le temps des idéologies a pris fin. Le peuple africain a besoin de leaderships pertinents, qui placent la dimension humaine au centre de toute politique nationale ou continentale.
15. Aujourd’hui, l’UA doit constituer pleinement cet espace qui unit les ambitions et met en commun les stratégies. Son rôle est crucial pour exprimer une vision continentale qui rompe avec les approches passées. L’UA doit être la locomotive d’une Afrique qui va de l’avant, d’une Afrique qui se fait confiance et d’une Afrique qui évolue. Il est crucial d’élever la pertinence et l’efficience de nos réponses politiques concertées. Il en va de même pour nos instruments continentaux qui devraient être mieux outillés pour répondre aux enjeux liés à la santé, la gestion de la dette, les politiques sociales, la migration et les menaces à la sécurité.
16. L’UA a été pensée comme une institution de convergence, qui mette en musique nos aspirations, nos ambitions et nos actions. Certains diront que le dessein de cette unité voulue n’a pas encore pleinement déteint sur notre fonctionnement institutionnel. Le temps n’est toutefois pas au défaitisme. L’Afrique doit bercer nos ambitions, concentrer nos attentions et nourrir nos engagements.
17. Quoi qu’il en soit, le Royaume du Maroc continuera à placer cette ambition fondamentale au cœur de ses priorités. Le leadership de Sa Majesté le Roi Mohammed VI a fait de l’émergence africaine non pas une simple perspective, mais un objectif concret, décliné par le triptyque d’une stratégie globale, d’une vision inclusive et d’une approche responsable. Portons notre engagement commun vers l’avant, avec l’espoir et les aspirations que nous partageons tous. L’Afrique est notre maison et notre avenir.
Des élans de croissance venus de l’extérieur
18. Les partenariats internationaux sont des fenêtres d’opportunité pour la croissance africaine. On voit, ces dernières années, se multiplier les sommets de l’Afrique avec les pays ou organisations tiers. J’ai moi-même assisté l’année dernière au Sommet UE-Afrique. Le partenariat UE-Afrique n’est pas un luxe mais bien une réponse nécessaire à un monde où la transversalité des enjeux exige des responsabilités définies, des actions concertées et des solidarités éprouvées. Les destins communs de l’UE et de l’Afrique ne sont pas hypothétiques ou fantasmés. C’est une réalité de tous les jours, ressentie quotidiennement de part et d’autre de la rive méditerranéenne, à plus forte raison dans le contexte d’incertitude et de crise qui caractérisent la scène internationale.
19. Les crises ont parfois cette vertu d’accélérer des processus qui, autrement, auraient mis plus de temps à se concrétiser. Les rapprochements entre l’Afrique et les autres continents et pays ne font l’objet d’aucun doute. La question n’est pas tant de savoir s’ils continueront à s’opérer mais plutôt de savoir comment les accélérer, les renforcer et les rendre plus efficients. Les paradigmes partenariaux ont évolué et il doit en être de même pour les logiques d’interaction. L’enjeu premier sera de définir conjointement une démarche outillée qui épouse pleinement les exigences d’une action urgente, efficiente et aux retombées palpables pour nos populations.
20. La récente élection du Maroc pour un mandat de trois ans au Conseil de Paix et de Sécurité (CPS) de l’UA fait écho à cet engagement continental à l’endroit d’une sérénité durable, inclusive et globale. Le Royaume, sous l’impulsion du Souverain, a toujours eu cette vocation à faire avancer la paix et construire la sécurité, par une approche holistique qui met l’humain au centre des préoccupations. Le Maroc est honoré d’une confiance africaine qui l’enjoint à poursuivre avec toujours plus de volontarisme cette démarche et cette vision que nous avons en partage avec nombre de nos partenaires, pays frères et amis.
21. Conformément à la Haute Vision de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, le Maroc demeure résolument fidèle à son engagement de faire du maintien de la paix et de la sécurité internationale un axe central de son action diplomatique. Le Maroc participe activement à la dynamique engagée dans son espace institutionnel africain et actif en faveur du développement et de la stabilité en Afrique et dans le respect total de la souveraineté des Etats et de leur intégrité territoriale. Cette présence marocaine dans le Continent, est forte par la promotion d’une stratégie globale et cohérente de coopération Sud-Sud, africaine, solidaire et multiforme, tant au niveau économique qu’à ceux politique, sécuritaire, militaire, humanitaire et cultuel.
22. L’engagement africain du Maroc est d’abord et avant tout un engagement collectif. C’est avec et pour ses partenaires du Continent que le Maroc oriente ses priorités diplomatiques, gardant toujours à l’esprit que l’avenir commun se construit ensemble, dans le partage juste, l’amitié sincère, et la coopération efficiente. En ce sens, les actions de coopération structurelle engagées lors de la dernière visite de Sa Majesté le Roi Mohammed VI à Libreville dénotent d’un ancrage diplomatique fort du Royaume sur des questions aussi stratégiques que vitales pour le Continent, telles que la sécurité alimentaire et l’agriculture.