Entre Marrakech et Malabo, Abdelfettah el-Sissi a vite tranché. Si le «raïs égyptien» a boudé la Conférence internationale sur les changements climatiques (COP22), il n’en a pas fait autant pour le 4ème Sommet Afrique-Monde arabe, qui s’est tenu hier mercredi à Malabo. Il s'est bel et bien rendu à Malabo, la capitale équato-guinéenne, en provenance du Portugal. C’est dire l’importance qu’il attache à sa participation à ce sommet malgré le retrait, mardi dernier, de neuf pays arabes, dont cinq Etats membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG), en plus du Yémen, de la Jordanie et de la Somalie, en signe de soutien au Maroc et de protestation contre la présence d’une délégation de la «RASD» à un événement où ne devaient naturellement être représentés que des pays membres de l’Organisation des Nations unies.
Libre au président égyptien de sortir du «consensus arabe», quand bien même il en a fait son cheval de campagne pour être «intronisé» à la tête de l’Etat égyptien depuis 2014. Il n’a cure du soutien exprimé par la Ligue arabe au retrait des neuf pays arabes et du vœu du pays hôte qui s’est abstenu d'inviter le Polisario.
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Abdelfettah el-Sissi est dans son droit de défendre cette sacro-sainte «autonomie de décision», comme il le martèle avec insistance ces derniers temps, précisément depuis que Ryad lui a coupé les vannes de l’approvisionnement en hydrocarbures!
L’équipée d’Abdelfettah el-Sissi du côté de Malabo ne devait poser aucun problème. Mais voilà, le «raïs» égyptien n’a pas fait le déplacement à Malabo pour rien. Il avait un «message» à faire passer. Dans son discours, l’ancien maréchal s’est en effet découvert une vocation subite de défenseur du «droit des peuples à la décolonisation»! reprenant à son compte la phraséologie martelée par les ennemis de l’unité territoriale du royaume du Maroc, quitte à s'inscrire en faux contre la position officielle même de son pays qui ne reconnaît pas la «RASD»!
Sahara: signes précurseurs d’une volteface pharaoniqueIl faut d’abord préciser que des prémices à cette volte-face s'étaient manifestées depuis l’investiture d’Abdelfettah el-Sissi, en 2014. Est-il besoin de revenir sur l’épisode de crispation qu’ont connues les relations bilatérales, après la visite, l’été 2014 à Tindouf, d’une délégation de journalistes égyptiens, et qui n’a été soldée que grâce à la visite, en 2015 au Maroc, du ministre des Affaires étrangères, Sameh Choukri? Lors de cette visite, le chef de la diplomatie égyptienne avait bel et bien réaffirmé le soutien de son pays à l’intégrité territoriale du Maroc. Depuis, on pensait que la page était tournée et que les choses allaient rentrer dans l'ordre.
Or, un an plus tard, précisément en octobre dernier, une délégation de présumés «députés sahraouis» ont été invités à prendre part au 150e anniversaire de la création du Parlement égyptien, organisé à Charm el-Cheïkh! En guise d’explication à cette invitation, les autorités égyptiennes avaient argué que la délégation séparatiste conduite par le soi-disant «président du parlement sahraoui», Khatri Addouh, était plutôt invitée par le «parlement panafricain»! En somme, autant d’alibis que vient démentir le discours commis par le «raïs» égyptien lui-même du côté de Malabo.
Des hypothèses pour comprendre le comportement du raïsLe discours hostile d’Abdelfettah el-Sissi du côté de Malabo se veut l’aboutissement d’une crise qui s’est exacerbée dès que Ryad a coupé, en octobre dernier, les vannes d’approvisionnement de l’Egypte en hydrocarbures, suite au vote égyptien d’un projet de résolution russe jugé favorable au régime de Bachar Al-Assad. En panne sèche d’hydrocarbures, l’Egypte appelle au secours Alger, qui a dépêché un pétrolier au port d’Alexandrie pour livrer quelques tonnes d’hydrocarbures. Il ne fallait pas s’étonner que juste après cette livraison, les autorités égyptiennes aient renvoyé l’ascenseur à Alger en accordant des visas à la délégation du Polisario pour se rendre à Charm el-Cheïkh.
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Malgré cette "initiative" insidieuse, aucune réaction officielle n'a été jusqu'ici émise par les autorités marocaines. Tout bien considéré, aucun signal en provenance de Rabat qui puisse justifier le comportement hostile du "raïs" égyptien. A part, peut-être, cette interprétation faite par certains médias égyptiens de la visite du roi Mohammed VI à Addis Abeba, marquée par le lancement le 19 novembre courant du projet de construction par l'Office chérifien des phosphates (OCP) d'une plateforme de production d'engrais d’un investissement de 3,7 milliards de dollars au profit de l'Ethiopie, qui abrite la source du Nil Bleu (85% du débit). Le lancement de ce méga-projet marocain intervient alors que les travaux de construction en Ethiopie du barrage de la Renaissance, l'un des plus grands au monde, sont suivis d'un oeil inquiet par les autorités égyptiennes. Le projet de construction d'une plateforme de production d'engrais n'a aucune implication politique, il est destiné à aider l'Ethiopie à devenir autosuffisante en engrais à l'horizon 2025, et du coup à assurer sa propre sécurité alimentaire et celle d'autres pays d'Afrique de l'Est. Mais il semble que cela n'a pas été vu de cet oeil du côté du Caire, comme en atteste la sortie de certains médias caïrotes qui ont interprété à tort le déplacement royal comme étant une mesure de rétorsion contre l'invitation de la délégation du Polisario en octobre dernier à Charm el-Cheïkh.
Le Caire, qui a soutenu le Maroc lors de sa crise avec le SG sortant de l’ONU, Ban Ki-moon, et voté fin avril dernier la résolution 2285, jugée favorable au royaume, s’est abstenu toutefois de signer la motion des 28 pays africains pour le retour du Maroc au sein de l’Union africaine. Quant à cela, il faut bien ajouter le «boycott» de la COP22 par le président el-Sissi, combiné à son discours de Malabo, il ne fait plus aucun doute que le Caire a initié des mesures de représailles contre Ryad et ses alliés, dont le Maroc. Ce qui rend d’autant plus plausible cette piste de représailles, c’est qu’Alger comble ou à tout le moins a essayé de combler le manque en hydrocarbures après que Ryad ait décidé de couper les vivres.