Sit-in des jeunes de la génération Z: des revendications légitimes mais gare à la manipulation

Lors du sit-in de jeunes de la génération Z, samedi 27 septembre 2025 à Rabat.

Lors du sit-in de jeunes de la génération Z, samedi 27 septembre 2025 à Rabat.. AFP or licensors

Même en petits groupes, des jeunes appartenant à la génération Z ont tenu des sit-in de protestation tout au long du week-end passé, et ce, dans certaines villes marocaines. Interdites, leurs manifestations ont été dispersées, mais le message est passé et il est très précis: la réforme, ici et maintenant, des systèmes d’enseignement et de santé publics et la lutte contre la prévarication. Mais gare à la récupération politique et à la manipulation.

Le 29/09/2025 à 15h33

Ils sont venus. Assurément pas «tous» et en petit nombre, mais ils étaient là. Par petits groupes, des jeunes de la génération Z, soit celles et ceux nés entre 1995 et 2010, ont marqué des sit-in de protestation. C’était samedi et dimanche derniers dans certaines villes du pays. Les revendications sont précises: la réforme urgente des systèmes de santé et d’éducation, la lutte contre la prévarication. Interdites, les manifestations ont été dispersées, mais le message est passé, la forte médiatisation et les réseaux sociaux ayant joué un rôle amplificateur. De quoi interroger tant cette forme, nouvelle, de protestation que son fond, mais aussi les risques auxquels elle s’expose d’emblée.

Tout a commencé le 17 septembre dernier par des débats lancés sur des groupes de discussion, certains fermés, d’autres ouverts, sur deux plateformes pour l’essentiel: le célèbre TikTok et Discord, une application de communication en ligne, créée pour les gamers afin qu’ils puissent discuter pendant qu’ils jouent, mais aujourd’hui utilisée à grande échelle par des communautés très variées (étudiants, professionnels, associations, amis, etc.). Particularité: des chatrooms pouvant supporter un nombre infini de participants. Une en particulier, GenZ212, sur Discord, compte plus de 40.000 membres avec, souvent, plusieurs milliers de personnes actives au même moment. Dans la foulée, une chaîne éponyme est lancée sur YouTube. GenZ212 est la déclinaison marocaine (212 n’étant autre que l’indicatif téléphonique du Maroc) d’un mouvement qui se veut global, ayant démarré… au Népal pour gagner une bonne partie des pays asiatiques (Philippines, Thaïlande, Indonésie…).

L’effet papillon

Le déclencheur du mouvement marocain est double. Il y a eu le scandale de l’hôpital régional d’Agadir, où huit femmes sont mortes en accouchant en l’espace d’une semaine en août dernier. Des décès qui ont révélé au grand jour l’état de délabrement avancé de cette structure et la démission intellectuelle et morale de son personnel, provoquant une colère qui a gagné tout le Maroc.

Il y a aussi eu le Népal, où de larges manifestations ont éclaté le 8 septembre, principalement conduites par des jeunes, contre la corruption, le népotisme, et en réaction à une interdiction gouvernementale de plusieurs plateformes de réseaux sociaux (Facebook, X, YouTube, Whatsapp, etc.). Non seulement ce bannissement a été levé, mais le Premier ministre K. P. Sharma Oli a démissionné à la suite des manifestations. Un gouvernement intérimaire dirigé par Sushila Karki a été mis en place. Pour l’observateur lambda, le Népal paraît bien loin, mais c’est mal connaître la génération Z.

Apolitiques, peu sensibles au discours religieux et non syndiqués, les jeunes de cette génération sont des natifs du numérique: ils ont grandi avec Internet, les smartphones et les réseaux sociaux. Hyperconnectés, ils s’approprient ce qui se passe dans le monde et agissent en fonction, localement. Ils sont également très sensibles aux questions d’égalité et d’inclusion. Pragmatiques et réalistes, ils recherchent la sécurité et la stabilité dans un contexte d’incertitude économique et sont attachés aux causes liées au climat, à l’éthique et à la justice sociale. Ils ont également pour autre particularité d’être autonomes et indépendants. Ce n’est donc pas un hasard si la question du chômage ou de l’emploi n’a que peu figuré dans les revendications.

Et demain?

Malgré le peu d’affluence et compte tenu du fort impact médiatique, les sit-in du week-end ne sont pas passés inaperçus. «Nous avons réussi à nous faire entendre et prouvé que, loin d’être passive ou impuissante, la jeune génération a son mot à dire. En 2025, le Maroc ne peut plus se permettre le luxe d’avoir des hôpitaux en panne ou des écoles dysfonctionnelles avec une corruption quasi-institutionnalisée», résume un membre de ce mouvement sous couvert d’anonymat. La protestation n’est pas finie, promet-il.

Représentatif d’une majorité jusqu’ici silencieuse –41% de la population au Maroc ayant moins de 25 ans– GenZ212 a brandi des revendications exclusivement sociales. Le caractère pacifique des sit-in a été respecté. Et, face à des tentatives de récupération de leur discours à des fins politiques, ses meneurs ont été prompts à réagir pour préciser les revendications sociales du groupe. Cela étant, l’absence d’un leadership clair et identifiable rend impossible toute tentative de médiation ou de dialogue. «Tous les Marocains sont d’accord quant à l’urgence de mettre en œuvre les réformes demandées. À cet égard, le mouvement peut être un levier sain d’accélération. L’activation de mécanismes constitutionnels comme le Médiateur du Royaume pour amorcer un débat ouvert sur ces questions peut être envisagée. Mais pour cela, il faut un vis-à-vis. Or, pour l’heure, c’est l’anonymat qui prime du côté de GenZ212», note un observateur.

Il existe également un autre risque majeur: la manipulation. «Des acteurs connus pour leur hostilité à l’État dans son ensemble, des individus ou des groupes animés par un désir de vengeance ou une volonté de déstabilisation du pays commencent d’ores et déjà à noyauter les chatrooms de GenZ212. En l’absence d’un réel encadrement et d’un leadership identifié et identifiable, il est fort à parier que le débat, les revendications et les actions futures ne soient dévoyés», avertit notre source. Ce sera le meilleur moyen de faire le lit de parties qui ne cherchent qu’à voir tout un pays sombrer dans le désordre. Et cela n’arrivera pas.

Par Tarik Qattab
Le 29/09/2025 à 15h33