De l’appui politique à la consécration juridique
La résolution 2797 du Conseil de sécurité des Nations unies adoptée le 31 octobre 2025 sur la question du Sahara marocain marque un tournant normatif majeur. Pour la première fois, le Conseil adopte explicitement l’Initiative marocaine d’autonomie de 2007 comme base pour parvenir à «une solution politique juste, durable et mutuellement acceptable».
Il affirme qu’une autonomie authentique sous souveraineté marocaine constitue l’issue la plus réaliste et la plus applicable, tout en appelant les parties à s’engager sans conditions préalables et de bonne foi. La formulation, la structure et la logique du texte traduisent une évolution profonde dans la pratique interprétative du Conseil au regard du droit international. Le texte consolide plus d’une décennie de glissements linguistiques progressifs depuis la résolution 1754 (2007), passant d’une reconnaissance prudente de l’initiative marocaine comme «sérieuse et crédible» à son intégration explicite comme noyau juridique du processus politique conduit par l’ONU. Ce développement a des implications majeures pour le droit international, notamment en ce qui concerne le principe d’autodétermination, la souveraineté et la redéfinition du concept de décolonisation au 21ème siècle.
L’architecture juridique fondamentale de la résolution
La résolution 2797 repose sur cinq piliers interdépendants:
1. Réaffirmation de toutes les résolutions précédentes, garantissant la continuité et la cohérence juridique de la position du Conseil sur le Sahara marocain.
2. Soutien total au Secrétaire général et à son Envoyé personnel, Staffan de Mistura, pour faire progresser les négociations et maintenir le rôle stabilisateur de la MINURSO.
3. Désignation de l’Initiative marocaine d’autonomie comme base opérationnelle des négociations, tout en reconnaissant qu’une autonomie véritable sous souveraineté marocaine représente «la solution la plus réaliste».
4. Suppression de toute référence au référendum comme mécanisme d’autodétermination.
5. Réaffirmation des principes de respect du cessez-le-feu, de coopération régionale et de soutien humanitaire aux réfugiés sahraouis. En combinant l’appui politique et la précision juridique, le Conseil a transformé le dossier du Sahara d’un différend de décolonisation en une question de gouvernance négociée dans le cadre de la souveraineté nationale. Cela marque la normalisation juridique progressive de la position marocaine.
L’autonomie comme concept normatif émergent
Depuis 2007, l’Initiative marocaine d’autonomie a été saluée dans les résolutions successives comme «sérieuse et crédible». Le texte de 2025 va plus loin en la qualifiant de «base» du processus politique. Sur le plan juridique, cette évolution n’est pas simplement sémantique. Lorsqu’un schéma linguistique récurrent du Conseil élève systématiquement un cadre particulier, il crée une pratique interprétative– une évolution de type soft law– qui influence les comportements, façonne les attentes et peut, à terme, contribuer à l’émergence d’une compréhension coutumière internationale (opinio juris + pratique des États). L’affirmation du Conseil selon laquelle «une autonomie véritable sous souveraineté marocaine pourrait constituer la solution la plus applicable» entraîne deux conséquences juridiques:
• Elle consacre le concept d’autodétermination interne, c’est-à-dire le droit des peuples à gérer leurs affaires dans un cadre souverain existant, comme application légitime du principe d’autodétermination au regard de la Charte des Nations unies.
• Elle rejette implicitement la sécession unilatérale comme modalité principale de ce droit, alignant le cas du Sahara sur d’autres précédents complexes (Aceh, Åland, Québec, Tyrol du Sud). Ainsi, l’autonomie devient non pas une étape transitoire, mais un statut politique final conforme à la souveraineté et à la stabilité.
La réinterprétation du principe d’autodétermination
Le paragraphe 3 de la résolution réaffirme le principe d’autodétermination «conformément aux buts et principes de la Charte des Nations unies», tout en l’ancrant immédiatement dans le cadre de «l’Initiative marocaine d’autonomie». Cet enchaînement est révélateur. Sur le plan juridique, il redéfinit l’autodétermination comme un processus de participation négociée plutôt qu’un droit à la séparation.
Le Conseil adopte ainsi ce que les juristes qualifient d’autodétermination fonctionnelle, interprétation dynamique issue de la Déclaration de 1970 sur les relations amicales entre États, qui stipule que l’exercice de l’autodétermination ne doit pas «menacer l’intégrité territoriale des États souverains».
La référence à la Charte renforce cette lecture: l’article 2(4) interdit le recours à la force ou à tout acte compromettant l’intégrité territoriale d’un État membre. En intégrant l’autonomie à ce cadre, le Conseil considère la proposition marocaine comme une modalité légitime d’application du principe d’autodétermination en harmonie avec la souveraineté nationale.
Du référendum à la négociation: le basculement juridique
Contrairement aux premières résolutions des années 1990 établissant la MINURSO, le texte de 2025 ne mentionne aucun référendum. Il appelle plutôt les parties à négocier sans conditions préalables, dans un esprit de compromis et de bonne foi. Ce changement transforme profondément le paradigme juridique:
• L’autodétermination devient procédurale, se réalisant par le dialogue.
• Le consentement des parties devient le nouveau critère de légitimité.
• Le rôle du Conseil évolue: il ne s’agit plus de mettre en œuvre un plébiscite, mais de garantir l’intégrité d’un processus politique.
«La résolution 2025 déplace le débat du terrain de la décolonisation vers celui de la consolidation– et de la politique de séparation vers le droit de participation.»
— Lahcen Haddad
En termes de droit international, le principe pacta sunt servanda (les accords doivent être respectés) guide désormais la voie à suivre. Tout refus de négocier revient à contrecarrer la volonté collective du Conseil et expose à un isolement politique croissant.
Le renforcement de la souveraineté marocaine
L’effet cumulatif du langage du Conseil conduit à la normalisation des responsabilités souveraines du Maroc sur ses provinces du Sud. En désignant l’Initiative marocaine d’autonomie comme «base» et en reconnaissant qu’une «autonomie authentique sous souveraineté marocaine» est «l’issue la plus réaliste», le Conseil crée une présomption de légalité concernant l’exercice par le Maroc de ses fonctions administratives et de développement dans la région. Les implications concrètes sont multiples:
• Renforcement de la capacité du Maroc à conclure des accords internationaux et des partenariats économiques relatifs au Sahara.
• Protection juridique accrue pour les États et entreprises coopérant avec le Maroc dans la région.
• Inscription de la gouvernance marocaine dans la doctrine de l’effectivité, reconnue par le droit international comme source légitime d’autorité lorsqu’elle ne contredit pas les normes jus cogens.
Avec le temps, ces formulations récurrentes peuvent devenir une pratique subséquente au sens de l’article 31(3)(b) de la Convention de Vienne sur le droit des traités, servant de référence interprétative aux résolutions antérieures.
Conséquences pour le Polisario et l’Algérie
Pour le Front Polisario et l’Algérie, l’espace juridique se rétrécit. La résolution ne reconnaît pas la soi-disant «RASD» et n’endosse pas le modèle référendaire qu’ils continuent de défendre.
La présentation algérienne de la question comme un processus de décolonisation ne trouve plus d’appui dans la pratique actuelle du Conseil. Le lex specialis applicable a évolué de la Déclaration de 1960 sur l’octroi de l’indépendance aux peuples coloniaux vers le corpus du règlement pacifique des différends inscrit au chapitre VI de la Charte.
Ainsi, la position algérienne devient essentiellement politique plutôt que juridique. Sa vision binaire– indépendance ou statu quo– se heurte à la voie médiane consacrée par le Conseil: l’autonomie dans la souveraineté.
Le rôle des États-Unis et l’émergence d’une pratique internationale
La résolution salue explicitement la disposition des États-Unis à accueillir les négociations, confirmant leur rôle continu de pays porte-plume (pen holder) et de garant de la légitimité du processus. Il ne s’agit pas d’un simple geste diplomatique: lorsqu’un membre permanent du Conseil assume ce rôle, cela confère un poids interprétatif supplémentaire au texte. D’autres États membres ont également qualifié l’autonomie de «seule base réaliste» pour progresser, renforçant ainsi une pratique étatique susceptible de se cristalliser en norme coutumière au sein du système onusien.
Le mandat renouvelé de la MINURSO et la revue stratégique
Le paragraphe 1 proroge le mandat de la MINURSO jusqu’au 31 octobre 2026, tandis que le paragraphe 5 demande au Secrétaire général de présenter, dans un délai de six mois, une revue stratégique sur l’avenir de la mission. Cette demande a une portée juridique significative: elle traduit un passage du suivi d’un référendum hypothétique à l’accompagnement de la mise en œuvre politique.
La mission voit ainsi sa raison d’être réorientée vers la facilitation des conditions d’autonomie et la préservation de la stabilité, plutôt que la préparation d’un scrutin.
Ce réalignement fonctionnel préfigure une transformation de la MINURSO en mission politique légère, centrée sur la coordination et le soutien plutôt que sur le maintien de la paix au sens classique.
Conséquences doctrinales plus larges pour le droit international
La résolution de 2025 s’inscrit dans une évolution doctrinale plus vaste du droit international. Elle consacre le passage d’un paradigme traditionnel, où l’autodétermination était assimilée à l’indépendance et au cadre de la décolonisation, vers un modèle émergent fondé sur la participation dans la souveraineté.
Ce glissement abandonne la logique référendaire au profit d’une autonomie fondée sur le consensus, remplace la neutralité de l’État par un appui du Conseil aux solutions réalistes, et substitue à la rigidité territoriale une gouvernance dynamique conforme à la Charte des Nations unies. Ce changement reflète la maturité croissante du droit international, désormais centré sur la stabilité, la gouvernance et la paix plutôt que sur la symbolique idéologique.
Vers une solution conforme à la Charte des Nations unies
La résolution 2025 du Conseil de sécurité redessine la trajectoire juridique du dossier du Sahara marocain. Par la précision de son langage et la continuité de ses appuis, le Conseil transforme l’Initiative marocaine d’autonomie d’une proposition nationale en cadre juridique internationalement validé pour la mise en œuvre du principe d’autodétermination en conformité avec la Charte des Nations unies.
Sur le plan du droit international, il s’agit d’une reconnaissance implicite de la logique souveraine marocaine, obtenue non par déclaration, mais par une évolution jurisprudentielle progressive. Si cette approche se poursuit dans les résolutions futures et gagne l’adhésion des États membres, elle pourrait se cristalliser en une nouvelle norme coutumière internationale: celle selon laquelle l’autonomie dans la souveraineté constitue une expression légitime et légale de l’autodétermination, dès lors qu’elle garantit la représentation, la stabilité et le développement des populations concernées.
En résumé, la résolution 2025 déplace le débat du terrain de la décolonisation vers celui de la consolidation– et de la politique de séparation vers le droit de participation.








