Les évènements du Niger sont la suite d’évènements ayant débuté dans le nord du Mali en 2011. Un conflit ethnique, limité à l’origine à une seule fraction touareg, s’est donc, de fil en aiguille, peu à peu transformé en un embrasement régional échappant désormais à tout contrôle, et dont la conséquence la plus visible est la redistribution des cartes dans toute la région sahélienne.
Corsetés par leur idéologie, les pays européens, la France en tête, ont voulu qu’en Afrique, le droit des peuples s’efface devant les «droits de l’Homme», les chimères de la «bonne gouvernance» ou l’insolite «vivre ensemble». Sans parler des provocations LGBT et de ses variantes vues en Afrique comme autant d’abominations, et qui ont achevé de faire perdre à l’Europe l’estime et le respect des Africains.
Privilégiant les analyses économiques et sociales, aveuglés par l’impératif de l’impossible «développement», les décideurs français ont quant à eux refusé le réel, oubliant les sages recommandations faites en 1953 par le Gouverneur de «l’Afrique-Occidentale française»(AOF): «Moins d’élections et plus d’ethnographie, et tout le monde y trouvera son compte».
Ceux qui, en Europe, prétendent parler de l’Afrique, n’ont pas vu qu’à la fin du 19ème siècle, la colonisation qui libérait les sudistes de la prédation nordiste, rassemblait en même temps dominés et dominants dans de communes limites administratives. Avec les indépendances, ces délimitations internes de l’ancienne AOF, devenues frontières d’États, les lois de l’ethno-mathématique électorale y donnèrent automatiquement le pouvoir aux sudistes, puisque leurs femmes avaient été plus fécondes que celles des nordistes. D’où, au Mali, au Niger et au Tchad, dès les années 1960-1965, les nordistes qui refusaient d’être soumis à leurs anciens tributaires sudistes se soulevèrent. La guerre qui a éclaté en 2011 -donc avant toute présence russe-, et qui se déroule sous nos yeux, en est la résurgence.
Face à ce réel qu’ils ne comprenaient pas, ou qu’ils refusaient de voir, confondant causes et conséquences, ceux qui définissent la politique africaine de la France ont fait une erreur de diagnostic. Ils ont ainsi parlé de danger islamiste, alors que nous étions clairement en présence d’une plaie ethnico-raciale millénaire surinfectée par l’islamisme contemporain.
En conséquence de quoi, la stratégie française et européenne reposa sur «l’essentialisation» de la question religieuse, tout bandit armé, tout porteur d’arme et tout trafiquant étant péremptoirement qualifié de «jihadiste». L’erreur était grande car, dans la plupart des cas, nous étions en présence de trafiquants se revendiquant du jihadisme dans la jonction entre trafics et religion, le premier se faisant dans la bulle sécurisée par l’islamisme dans l’engerbage de revendications ethniques, sociales, mafieuses et politiques, opportunément habillées du voile religieux, avec des degrés différents d’importance de chaque point selon les moments.
Au Niger, où plusieurs conflits se déroulent, tant à l’ouest qu’au sud-est, la situation fut encore compliquée par le fait que le président Mohamed Bazoum est arabe. Il est en effet membre de la tribu libyenne des Ouled Slimane (Awlad Sulayman) qui a des diverticules au Tchad et dans le nord-est du Niger. Or, cette puissante tribu éclata en deux dans les années 1830, quand le pouvoir ottoman a décidé de reprendre effectivement le contrôle de la Régence de Tripoli. Une partie des Ouled Slimane émigra au Tchad et au Niger, où elle participa au grand mouvement de prédation nordiste à l’encontre des sédentaires sudistes, ce qui a laissé des traces dans la mémoire collective.
Au Niger, où les Ouled Slimane constituent moins de 0,5% de la population, et où ils sont considérés comme des étrangers, le fait que l’un des leurs parvienne à la présidence était mal ressenti. Et, circonstance aggravante, les Ouled Slimane sont vus comme des amis de la France depuis qu’en 1940-1941, ils ont opportunément suivi la colonne Leclerc dans son opération de conquête du Fezzan italien, action ayant démarré au Tchad et au Niger. Ce fut d’ailleurs à cette occasion que certaines fractions des Ouled Slimane retournèrent en Libye où, depuis, elles se heurtent aux Toubou qui occupent leurs anciens territoires abandonnés après l’exode du 19ème siècle.
Aujourd’hui, au lieu de s’interroger sur leurs erreurs, les dirigeants français tentent de s’exonérer de leurs responsabilités en montrant la «main russe». Comme si, étant en guerre contre l’OTAN, la Russie allait laisser passer l’occasion qui lui était offerte de s’engouffrer dans l’abîme béant que la France déployait devant elle pour ouvrir un front africain sur les arrières de ceux qui la combattent sur le front européen.
Le discours du président Poutine lors du dernier sommet russo-africain de Saint-Pétersbourg fut d’ailleurs très clair à ce sujet, quand il a parlé du «pillage» des ressources du Niger. Or, le pays représente aujourd’hui, et au mieux, à peine 10% des besoins français en uranium qu’il est, et de beaucoup, plus facile et moins onéreux de se fournir ailleurs de par le monde. Sans parler des nombreux gisements français dont les écologistes ont fait interdire l’exploitation par la loi.