Il y a des refrains que nous connaissons par cœur. Nous les répétons sans réfléchir, au point de les vider de sens ou de les coller à une idée, rien d’autre. Et c’est dommage.
Depuis tout petit, j’ai personnellement appris à ânonner «Non à la normalisation» sans trop savoir pourquoi ni comment. J’ai fini par assimiler la normalisation à un pacte avec le diable. Israël était bien sûr ce diable. C’est comme cela que l’on m’a appris.
Il m’a fallu du temps pour trouver une fenêtre dans cette prison où l’on m’avait jeté. Respirer, c’est relativiser. Quand l’air rentre dans vos poumons, vous avez enfin la possibilité de voir plus clair, votre cerveau fonctionne mieux et atteint une sorte d’indépendance. Vous apprenez alors à réfléchir par vous-même, en mettant de côté toutes les ritournelles de votre enfance.
Si la normalisation est bien une manière d’accepter l’inacceptable, de «dealer» avec l’inattendu, ses résultats peuvent vous conduire dans deux directions opposées. Elle peut représenter une avancée ou une régression. En normalisant, vous pouvez aller de l’avant ou reculer.
Je reviens à l’exemple d’Israël. Normaliser avec l’Etat hébreu n’a pas été simple à accepter parce que cet Etat continue d’occuper des territoires palestiniens. Comment l’oublier?
Dans le même temps, cette normalisation a du sens et ne vient pas de nulle part. Politiquement et économiquement, elle est utile, très utile. Elle est même rentable et rentre dans le cadre de la fameuse real politik qui fait qu’un Etat peut faire affaire avec un autre Etat même s’ils ne sont pas les meilleurs amis du monde.
Surtout, humainement, la composante juive est essentielle dans le patchwork de l’identité marocaine. Il faut être fou ou ignorer totalement l’histoire et les réalités marocaines pour prétendre le contraire.
Alors oui, mille fois oui à cette normalisation qui a quelque chose de naturel, voire d’intelligent, qui ne répond pas seulement à l’intérêt des Etats. Parce qu’il y a l’élément humain.
Et l’occupation des territoires palestiniens, on l’oublie, on ferme les yeux ? Non, et mille fois non, parce que normaliser n’est pas cautionner. Normaliser, c’est créer un cadre commun pour pouvoir discuter, pour pouvoir dire non et être certain d’être entendu, écouté.
Sans normalisation, vous pouvez crier dans votre coin, personne ne vous entendra.
Le deuxième exemple de normalisation qui me vient à l’esprit est celui que les uns et les autres, et ils sont nombreux, font avec le radicalisme religieux. C’est une normalisation dont on ne parle pas, alors qu’elle bat son plein. Au nom de Dieu, des gens prêchent la haine, le racisme, le rejet de l’autre, la négation de la science, le takfirisme, la misogynie. Ces gens font l’apologie d’un fou furieux comme Ibn Taymiyya, dont les fatwas du XIIIème siècle sont restées célèbres pour leur barbarie.
Que faire avec celui qui laisse la prière? Il faut lui couper la tête, nous disait le vénérable Ibn Taymiyya. Et celui qui ne jeûne pas ou critique l’islam? Lui couper la tête.
Les gens qui se revendiquent d’Ibn Taymiyya se font aujourd’hui inviter dans nos universités et vont donner des «conférences scientifiques» à la jeunesse marocaine. Ils sont reçus avec les honneurs, célébrés et écoutés très «religieusement».
C’est du grand n’importe quoi. Et c’est très dangereux.
Ces tristes personnages atterrissent au temple de la science et du savoir alors qu’ils renient la science et n’ont aucun bagage intellectuel. Et ils servent leur lavage de cerveau comme «discours» aux élites de demain…
Et on s’étonne après que l’obscurantisme gagne du terrain et infiltre même les milieux soi-disant cultivés!