La série noire des déboires judiciaires continue pour les parlementaires. Après Yassine Radi (Sidi Slimane, UC) et Mohamed Moubdiî (Fkih Bensaleh, MP), c’est au tour de Mohamed El Hidaoui, député de Safi, membre du Rassemblement national des indépendants (RNI, majorité) et président du club de football de la même ville de se retrouver derrière les barreaux.
Lors de la deuxième audience de son procès, le 26 juillet devant le tribunal de première instance de Casablanca, la cour avait décidé de le placer en détention préventive, en attendant la reprise de son procès, prévue pour le 9 août. Il est poursuivi, avec Adil El Omari, célèbre animateur de la station Radio Mars, pour «escroquerie et participation» en relation avec la revente au marché noir de tickets de la demi-finale de la Coupe du monde au Qatar, qui avait opposé la sélection marocaine à son homologue française.
La veille et le jour du match, qui s’est joué le 14 décembre 2022, Royal Air Maroc avait dû annuler 7 de ses vols vers Doha, sur injonction des autorités du Qatar. La nouvelle règle: pas de tickets de match, pas d’embarquement.
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Problème: lesdits tickets n’étaient plus disponibles à la vente, une partie ayant été acquise par la Fédération royale marocaine de football (FRMF) afin de les mettre à la disposition de supporters marocains souhaitant soutenir l’équipe nationale. Or, une partie de ces tickets a bénéficié à des personnes autres que celles à qui elle était destinée, se retrouvant proposée sur le marché noir, dans la capitale qatarie, et au prix fort.
Mohamed El Hidaoui aurait justement trempé dans ce scandale de détournement qui ne dit pas son nom, comme en attestent des enregistrements audio ayant circulé via les réseaux sociaux, suscitant une grande colère chez les Marocains.
Dans ces enregistrements, on entendait le président de l’Olympique de Safi négocier la vente de tickets, au prix de 6.000 dirhams pièce. Piégé par la séquence sonore, le parlementaire avait nié ces accusations, jurant, la main sur le coeur, qu’il avait lui-même acheté, avec ses propres fonds, les tickets mentionnés dans l’enregistrement, afin de les revendre en priorité aux jeunes de sa ville. «Ni la justice, ni la Brigade nationale de la police judiciaire (BNPJ), qui a instruit l’enquête, ne sont dupes. On n’envoie pas un parlementaire en prison sans disposer de preuves solides», explique un acteur associatif de Safi. qui a suivi l’affaire depuis le début, intrigué par les tribulations de l’élu de sa ville.
Sur les quais de Safi
Mais qui est justement Mohamed El Hidaoui, personnage haut en couleur que certains appellent par le mystérieux sobriquet de «Moul L’manta» (littéralement «l’homme à la couverture»).
En fait, peu de gens, y compris dans son entourage, peuvent évoquer en détail les débuts du fringant parlementaire. Né il y a un demi-siècle à Khouribga, il grandit dans une famille à la condition très modeste, originaire de la localité de Khmiss Negga, dans le cercle de Sebt Gzoula, qui choisit de «monter» à Safi à la recherche d’une vie plus clémente.
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Après un parcours scolaire chaotique, le jeune Mohamed se retrouve sur les quais du port de la ville, où il se lance dans le commerce de poisson, à très petite échelle.
Sa fortune, il la doit d’abord à une rencontre. Celle d’un armateur-mareyeur espagnol opérant dans le port qui, séduit par son intelligence et son ambition, prend le jeune homme sous son aile et en fait son bras droit.
Quelques années plus tard, précisément au milieu des années 2000, le ressortissant espagnol disparaît subitement des radars. À la même période, un camion transportant une cargaison autrement plus compromettante que du poisson est intercepté à Tanger, en provenance de Safi. Coïncidence ou lien avéré, sous-entendant un possible trafic? La question n’aura jamais de réponse.
Le mystère d’une fortune
Toujours est-il qu’en 2007, Mohamed El Hidaoui crée sa propre entreprise, sobrement baptisée Safi Pescados («Poissons de Safi» en espagnol). Spécialisée dans l’exportation de produits de la mer, elle est aujourd’hui l’une des plus grandes sociétés de son secteur, affichant un chiffre d’affaires annuel frôlant les 200 millions de dirhams. L’entreprise s’est même permis le luxe d’ouvrir une succursale à Huelva, en Espagne, toujours dirigée par un proche de son patron.
Ce dernier n’a jamais réellement dévoilé l’origine de sa fortune et les secrets de la croissance de son business, dont la célérité en étonne plus d’un. «De mémoire d’homme et de professionnel, jamais un armateur ou un grossiste de produits de la mer n’a bâti une telle fortune en si peu de temps», commente un vétéran du secteur de la pêche à Safi.
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Sous couvert d’anonymat, certains prétendent qu’El Hidaoui aurait eu des activités parallèles, à la légalité douteuse et à la rentabilité autrement plus importante que l’export de poulpes congelés et de crevettes en barquettes. Pour y réussir, il aurait, toujours selon les mêmes sources, bénéficié de la protection de personnalités haut placées, dont un ex-préfet de police aujourd’hui à la retraite.
La course à la notabilité
Désormais une personnalité économique incontournable de Safi, l’homme aspire à un statut de notable au-delà du périmètre de sa ville. Se plaçant habilement sur le terrain caritatif, qu’il occupe tout au long de l’année, il prend en parallèle la présidence de l’Association nationale des exportateurs des produits de la mer, ainsi que celle de la Maison du pêcheur, structure qui prend en charge les anciens pêcheurs démunis.
En août 2022, il franchit un nouveau palier en devenant le président de l’Olympique Club de Safi (OCS), fonction à laquelle il est élu en tant que candidat unique. «Il n’avait même pas le droit de briguer ce poste, n’ayant jamais été adhérent du club comme le stipulent les statuts», affirme un connaisseur de l’histoire de l’OCS.
Sauf que le nouveau président a d’autres arguments, sonnants et trébuchants. Ses partisans rappellent à qui veut l’entendre qu’El Hidaoui a sauvé le club rafiot, et pas seulement d’une relégation certaine en deuxième division. Mettant généreusement la main à la poche, le mécène a renfloué les caisses, n’hésitant pas à délier la bourse pour payer salaires, déplacements, séjours et autres primes de joueurs.
Après l’économique, le caritatif et le sportif, la voie est désormais balisée pour le terrain de conquête suivant: la politique.
Premiers (et derniers?) pas en politique
En réalité, tout au long de son parcours, Mohamed El Hidaoui ne s’est jamais réellement essayé, ni même intéressé à l’univers de la politique. La providence, ou l’opportunisme, allait lui offrir une belle occasion de le faire.
Nous sommes à l’été 2021, à la veille des élections législatives. L’un des candidats potentiels du Rassemblement national des indépendants (RNI) est en froid avec la direction du parti, qui finit par lui chercher une alternative. Le remplaçant idéal est tout trouvé en la personne d’El Hidaoui: notable de la ville aux relais multiples et aux moyens abondants, il est la garantie d’un siège de député dans l’escarcelle de la formation de Aziz Akhannouch. Surtout dans cette circonscription acquise depuis 2011 au Parti de la justice et du développement (PJD), et où se sont succédés des notables du Mouvement populaire (MP), de l’Union constitutionnelle (UC) et de l’istiqlal.
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Dont acte. Avec 17.600 voix, l’élection d’El Hidaoui le 8 septembre 2021 a des allures de formalité, le propulsant vers le Parlement. Membre de la commission des secteurs productifs à la Chambre des représentants, son action se limite à poser des questions au gouvernement concernant Safi et, évidemment, concernant toutes les questions ayant trait à la pêche.
Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes pour El Hidaoui? Presque. Un peu plus d’une année après son élection, l’euphorie du parcours des Lions de l’Atlas à la Coupe du monde du Qatar est assombrie par le scandale des tickets du match Maroc-France. La descente aux enfers du député de Safi, impliqué dans l’affaire par lesdits enregistrements, peut commencer.
Le RNI décide de le déférer devant sa Commission régionale de discipline de Marrakech-Safi et le 15 décembre 2022, la sentence tombe: Mohamed El Hidaoui est officiellement suspendu des instances du parti.
Cette première sanction digérée, il continue à espérer que «les choses se tassent», lui permettant de passer entre les mailles du filet. Il n’en sera rien. Fouzi Lekjaa, président de la Fédération royale marocaine de football, multiplie les déclarations assurant qu’une enquête sur «l’affaire des tickets» était en cours et que les personnes impliquées seront présentées à la justice. Dès lors, tout s’accélère avec l’entrée en scène de la Brigade nationale de la police judiciaire, avec l’issue que l’on sait.
Aujourd’hui, en attendant la prochaine audience de son procès, l’élu de Safi est logé à la prison Oukacha. Bien au chaud, sans besoin de la moindre «manta», diraient les amateurs de jeux de mots.